
Arnaud Benedetti est professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Il a publié « Comment sont morts les politiques ? » aux éditions du Cerf.
JDD. – Entre les mesures, qui d’une part, renforcent la lutte contre l’immigration illégale et d’autre part, favorisent l’intégration, le texte de la loi immigration repose sur une ligne de crête. L’impossible « en même temps » n’est-il pas le fond du problème ?
Arnaud BENEDETTI. On sait depuis longtemps la difficulté que la majorité présidentielle rencontre à trouver un point d’équilibre entre sa jambe gauche et sa jambe droite sur ce sujet. Les questions régaliennes, plus généralement, réintroduisent les clivages gauche/droite au sein même du camp présidentiel. La vision techno-économique consubstantielle du macronisme se heurte à la conflictualité politique, dès lors qu’il s’agit de trancher le nœud gordien des enjeux clivants. Et l’immigration en constitue un car il s’agit par nature d’un problème particulièrement abrasif.
Là où l’opinion publique a majoritairement fait le choix, comme le montre de manière récurrente tout un ensemble de sondages, d’une exigence de fermeté, de contrôle, la classe dirigeante est divisée à la fois pour des raisons économiques d’une part et philosophiques d’autre part. Toute la difficulté vient aussi de la genèse de l’entreprise macroniste qui au seuil de son aventure électorale portait une vision positive du phénomène migratoire, à contre-courant au demeurant de la réalité des perceptions collectives majoritaires de la société française.
Au fur et à mesure du développement du premier, puis désormais du second mandat, le discours a nécessairement évolué, s’adaptant aux tendances profondes des opinions. Tout l’exercice consiste en conséquence pour l’exécutif à donner des gages à l’inquiétude des Français, mais en essayant de continuer à arrimer son aile gauche. Le challenge était encore possible lorsqu’à l’Assemblée Emmanuel Macron disposait d’une majorité absolue mais avec cette législature, reposant sur une très fragile majorité relative, les choses se compliquent mécaniquement.
Dans Libération, une trentaine de parlementaires allant du Modem à EE-LV proposent de faciliter la régularisation des travailleurs sans papiers. De l’autre côté de l’échiquier politique, Les Républicains ont fait savoir qu’ils ne voteraient pas le texte du gouvernement, si le statut pour les « métiers en tension » était maintenu. Dans ces conditions, le gouvernement peut-il vraiment parvenir à trouver une majorité ?
À ce stade, force est de constater qu’il n’existe pas de majorité pour voter ce texte. Les Républicains comme la majorité présidentielle sont pour des motifs différents « dos au mur ». Les premiers ne peuvent, sous peine d’apparaître après l’épisode des retraites, comme des supplétifs du gouvernement, baisser la garde sur un enjeu qui à droite, mais même au-delà, constitue une préoccupation majeure de l’électorat.
« Pour la majorité présidentielle, il s’agit de faire la démonstration de son aptitude à la fermeté »
La pression exercée par ailleurs par le RN ne peut qu’inciter LR à une ligne de fermeté et d’autorité, au risque sinon d’être confronté à un énième phénomène d’éviction au sein même de son socle électoral. D’où la volonté exprimée par les principaux responsables LR de défendre une ligne de réarmement de notre politique migratoire qui passe entre autres par une plus grande autonomie au regard des contraintes européennes. D’où aussi le refus du statut de « métiers en tensions » qui à leurs yeux constituerait un nouvel appel d’air propice à une immigration de masse, comparable à la régularisation de 130.000 étrangers en situation irrégulière opérée en 1981 par François Mitterrand. Pour la majorité présidentielle, il s’agit de faire la démonstration de son aptitude à la fermeté.
Le président de la République a lui-même expliqué dans un entretien donné au Point qu’il fallait réduire « significativement » l’immigration. Mais parallèlement, il ne faut pas abandonner le logiciel européen pour ce qui est des fondamentaux de sa ligne politique, conforter les décideurs économiques qui appellent pour une part à la régularisation, ne pas perdre sa coloration progressiste pour ce qui est de ses principes originels. Afin de faire adopter son texte, l’exécutif devra procéder à de la chirurgie parlementaire très fine, d’autant plus qu’une majorité relative comme celle dont il dispose suscite inévitablement des tensions internes et une érosion inévitable après un an de mandat.
Au-delà de la majorité, les réserves parlementaires paraissent très ténues : marginales chez LR en l’état du projet de loi, peut-être du côté du PS et du PC mais avec un potentiel insuffisant, et éventuellement au sein du groupe LIOT, mais celui-ci a été pour le moins malmené ces derniers mois par le gouvernement tant lors de la réforme des retraites qu’à l’occasion de la rencontre de Saint-Denis où il n’à pas été convié car n’entrant pas dans le cadre partisan retenu par Emmanuel Macron pour ces échanges.
Quels sont les autres points de crispation ?
La commission des lois au Sénat au printemps dernier a donné le ton. Le rapport sénatorial Bonnecarrere/Jourda entend durcir les conditions du regroupement familial en rallongeant la durée de résidence pour formuler une demande de regroupement et en exigeant également des conditions de ressources fortement consolidées. D’autres segments sont aussi l’objet d’un durcissement comme l’accueil des étudiants étrangers plus restrictif, ainsi que l’aide médicale d’État qui devient une aide médicale d’urgence. Il en va de même pour ce qui concerne l’intégration. Ainsi, alors que le projet gouvernemental exige un niveau de français minimal pour disposer d’un titre de séjour, les sénateurs préconisent d’ajouter à ce critère un examen civique.
De même, les bénéficiaires du regroupement familial devront exciper dès le pays d’origine d’une connaissance minimale du français. Sur la délicate question des OQTF (obligation de quitter le territoire français) le rapport sénatorial, entre autres mesures, propose une réduction des visas et une modulation de l’aide au développement au regard des pays les moins coopératifs en matière de délivrance de laissez-passer consulaires.
L’offensive de la droite pour refondre la politique migratoire sur tous ses segments annonce à plus d’un titre une bataille rugueuse au Parlement où le risque pour l’exécutif est d’apparaître trop dur pour la gauche et trop laxiste pour la droite. Une sorte d’inversion négative du « en même temps » qui pourrait se retourner contre le gouvernement…
Le gouvernement a-t-il intérêt à recourir au 49.3 sur ce texte ? Serait-ce un aveu d’échec pour l’exécutif ?
Il n’aura vraisemblablement pas d’autre choix. La question est de savoir si ce projet de loi coagulera pour des raisons diamétralement opposées toutes les oppositions autour d’une motion de censure. Si tel était le cas, le gouvernement Borne serait en très grande difficulté. Que l’immigration qui constitue l’enjeu lancinant et croissant de la vie politique française depuis quatre décennies soit le facteur déclenchant de la seconde motion de censure adoptée par l’Assemblée sous la Ve République constituerait en soi le symbole de quarante années d’inaptitude dirigeante à maîtriser la politique migratoire du pays. Un symbole et un tournant, même si nous n’y sommes pas encore.
Cette chronique est reproduite du mieux possible. Si vous désirez apporter des explications sur le sujet « Anciens et étudiant de Panthéon-Sorbonne », vous avez la possibilité de d’échanger avec notre rédaction. Notre plateforme sorbonne-post-scriptum.com vous conseille de lire cet article autour du thème « Anciens et étudiant de Panthéon-Sorbonne ». La fonction de sorbonne-post-scriptum.com est de rassembler sur le web des données sur le sujet de Anciens et étudiant de Panthéon-Sorbonne et les diffuser en répondant du mieux possible aux interrogations des gens. En consultant régulièrement nos pages de blog vous serez au courant des prochaines publications.