Arnaud Benedetti: «L’exécutif est pris en tenaille entre ses promesses et son impuissance»

, Arnaud Benedetti: «L’exécutif est pris en tenaille entre ses promesses et son impuissance»
, Arnaud Benedetti: «L’exécutif est pris en tenaille entre ses promesses et son impuissance»
Présentation de la feuille de route et de l’agenda législatif le 26 avril par la première ministre Elisabeth Borne. BERTRAND GUAY / AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE – Le professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne Arnaud Benedetti décrypte la feuille de route présentée par Élisabeth Borne le 26 avril, qui atteste selon lui de la mise à l’arrêt du gouvernement.

Arnaud Benedetti est professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne. Il est rédacteur en chef de la revue politique et parlementaire. Il a publié Comment sont morts les politiques ? – Le grand malaise du pouvoir (éditions du Cerf, novembre 2021).


La feuille de route déclinée par Élisabeth Borne ce mercredi atteste de la mise à l’arrêt du gouvernement. La seule annonce d’importance de la Première ministre réside dans le report sine die du projet de loi relatif à l’immigration, faute de majorité. On l’aura compris : il n’aura pas fallu dix mois pour que la législature livre la vérité de sa signification politique. Nonobstant une communication de forfanterie et de sursaturation depuis la promulgation du texte relatif aux retraites, Emmanuel Macron n’est plus seulement entravé, il est de facto empêché, cherchant une issue, mais se heurtant telle une abeille dans un bocal aux parois abruptes d’une triple adversité : l’opinion, les corps intermédiaires syndicaux, et désormais un parlement rétif, pour ne pas dire impraticable. Tout se passe comme s’il n’y avait plus d’après en macronie, ou qu’elle n’était plus qu’une uchronie, entretenant sa propre fiction loin de la réalité du pays.

Le président de la République surestime ses forces lorsqu’il pense pouvoir maintenir son style, sa pratique du pouvoir et son agenda «réformiste». Le drame du premier quinquennat fut d’être catapultée par des crises, les gilets jaunes et la pandémie, dont l’effet principal consista à freiner, voire à infirmer, le déploiement et le contenu du logiciel d’adaptation à la globalisation que portait alors le nouvel entrant élyséen. La victoire en trompe-l’œil de 2022, indexée pour une grande part sur la guerre en Ukraine, s’est accompagnée d’un containment parlementaire, suite aux législatives du mois de juin, dont le chef de l’État n’a pas voulu tenir compte. Emmanuel Macron aurait pu réinventer la pratique institutionnelle, ou à tout le moins l’adapter au message que les Français lui avaient adressé en le privant d’une majorité absolue.

Obsédé vraisemblablement par son objectif programmatique déjà encalminé lors du premier mandat, Emmanuel Macron est désormais pressé de rattraper le retard pris sur sa feuille de route mondialisée.

Arnaud Benedetti

Loin de toute sagesse et d’esprit de mesure, la tête de l’exécutif a préféré la tactique du bonneteau, s’adonnant à un jeu de passe-passe rhétorique transformant la lecture d’un quinquennat que la souveraineté populaire avait voulu plus rassembleur et moins péremptoire en une onction suprême donnant quitus plein et entier au président réélu pour son programme. Là où les électeurs enjoignaient le locataire de l’Élysée à se réformer, ce dernier n’avait d’autre priorité, lui, que de leur appliquer ses recettes «réformistes»au prix d’une interprétation toute personnelle et biaisée de la situation issue des urnes. De facto Emmanuel Macron n’aura retenu que ce qu’il voulait entendre du double résultat électoral du printemps 2022.

Mutadis mutandis il aura ainsi surtout créé les conditions d’un malentendu qui mine sa légitimité au jour le jour. Le printemps 2023 est le produit de cette cote mal taillée mais l’enlisement qui aujourd’hui immobilise le gouvernement résulte d’abord de ce déni présidentiel. Obsédé vraisemblablement par son objectif programmatique déjà encalminé lors du premier mandat, Emmanuel Macron est désormais pressé de rattraper le retard pris sur sa feuille de route mondialisée. Ce faisant il se heurte à la résistance d’une société qui de ses corps intermédiaires à l’opinion profonde le rappelle à sa fonction arbitrale et protectrice quand, lui, se fait l’exécuteur d’injonctions extérieures. C’est ainsi que la mesure d’allongement de l’âge de départ en retraite est perçue pour une grande part comme une contrainte normative, portée exclusivement par les marchés financiers, les agences de notation et les institutions supranationales.

Le moment auquel le pays se confronte est le syndrome de cette dissociation entre l’intérêt général et la volonté générale, comme si la seconde aux yeux des décideurs n’était plus la condition de la première.

Arnaud Benedetti

Cette tension vaut explication en profondeur de ce que le pays traverse : une lutte décisive qui depuis plusieurs décennies voit les nations s’affronter à l’airain de la globalisation dont le moteur intraitable vise à ériger les mandataires des peuples, pleinement et historiquement responsables devant ces derniers, en agents de transformation et de détricotage de la souveraineté dont ils procèdent néanmoins. Tout se passe comme si cette dissolution brechtienne éclatait désormais au grand jour et qu’en résultait cette «crise démocratique» constatée et déplorée, après tant d’autres, par l’un des maîtres à penser de la deuxième gauche, Pierre Rosanvallon. L’atmosphère convulsive faisant suite à l’adoption de la loi retraite est la conséquence de la montée en puissance d’une prise de conscience collective de ce court-circuit opérant entre des corps politiques démocratiques dépossédés et des dirigeants agissant selon des modalités d’exécution affranchies du consentement populaire.

Le moment auquel le pays se confronte est le syndrome de cette dissociation entre l’intérêt général et la volonté générale, comme si la seconde aux yeux des décideurs n’était plus la condition de la première. Élisabeth Borne et Emmanuel Macron sont bien plus les otages consentants d’un processus qui les dépasse qu’ils n’en sont les initiateurs. Pour autant rien ne les empêche d’entrer dans l’histoire plutôt que de contribuer à nous en faire sortir. Ce que la persistante opposition à leur «réforme» dit, nonobstant une victoire légale à la Pyrrhus, dépasse et de loin la vie politique routinière et les commentaires récurrents des observateurs : elle acte le rappel des fondamentaux de la démocratie libérale selon laquelle cette dernière ne peut s’absoudre de respecter les forges nationales et populaires qui sont au principe de la souveraineté. Rien ne serait pire que de penser qu’un énième stratagème de communication suffira à dissoudre une aussi puissante nécessité démocratique.


Cette chronique est reproduite du mieux possible. Si vous désirez apporter des explications sur le sujet « Anciens et étudiant de Panthéon-Sorbonne », vous avez la possibilité de d’échanger avec notre rédaction. Notre plateforme sorbonne-post-scriptum.com vous conseille de lire cet article autour du thème « Anciens et étudiant de Panthéon-Sorbonne ». La fonction de sorbonne-post-scriptum.com est de rassembler sur le web des données sur le sujet de Anciens et étudiant de Panthéon-Sorbonne et les diffuser en répondant du mieux possible aux interrogations des gens. En consultant régulièrement nos pages de blog vous serez au courant des prochaines publications.