Au Neubourg, une conférence sur le défi alimentaire mondial avec Sylvie Brunel

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Sylvie Brunel présentera une conférence sur le thème de l'alimentation dans le monde, jeudi 22 juin au Neubourg.
Sylvie Brunel présentera une conférence sur le thème de l’alimentation dans le monde, jeudi 22 juin au Neubourg. ©Astrid di Crollalanza

Chaque année, l’association Inter-Seniors propose une conférence-débat. Après le changement climatique, la séance proposée jeudi 22 juin 2023 à 16 h 30 à la salle du Haut Phare, au Neubourg (Eure), abordera une question aux enjeux relativement proches : « comment nourrir le monde ». Pour cela, l’association neubourgeoise a invité Sylvie Brunel, géographe, écrivaine, ancienne présidente d’Action contre la faim et professeure à l’université de la Sorbonne. Elle dédicacera ce soir-là le livre qu’elle vient de publier : Nourrir, Cessons de maltraiter ceux qui nous font vivre.

Pour quelles raisons, au XXIe siècle, nourrir le monde est-il toujours un enjeu ?

La pandémie de Covid, la guerre en Ukraine et l’inflation se sont conjuguées pour accroître de près de 300 millions le nombre de personnes souffrant de la faim. Elles sont aujourd’hui un milliard ! En France, une personne sur dix ne mange pas à sa faim et on a constaté pour la première fois en 2022 une baisse de la consommation alimentaire. Jamais les organisations caritatives n’ont eu autant de travail !

Dans mon livre, je parle de la nécessité d’une nouvelle révolution agricole, fondée sur trois piliers : produire, partager et protéger.

Sylvie Brunel, géographe et professeur à l’université de la Sorbonne

Comment peut-on réduire l’écart entre, d’un côté, les pays développés où règne la surconsommation et, de l’autre, les sociétés en développement où se nourrir au quotidien n’est pas toujours acquis ?

Malheureusement, la nourriture n’obéit pas au principe des vases communicants : l’offre s’adapte à la demande solvable et les malnourris sont des pauvres, dans les campagnes comme dans les villes. Il faut pouvoir augmenter l’offre alimentaire d’une nourriture saine, suffisante, acceptable culturellement, mais aussi accessible financièrement. Cela signifie mener à la fois des politiques agricoles (pour booster la production) et alimentaires (pour permettre aux plus démunis de se nourrir).

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A-t-on aujourd’hui les moyens de nourrir la population mondiale et d’éradiquer la famine ?

Oui, bien sûr ! Mais pour la famine, qui est généralement liée aux conflits, il faut d’abord pouvoir rétablir la paix. Et pour la faim chronique, il faut de nouvelles révolutions vertes qui ne se limitent pas à augmenter la production, mais veillent à préserver l’environnement, et à l’équité sociale. Dans mon livre, je parle de la nécessité d’une nouvelle révolution agricole, fondée sur trois piliers : produire, partager et protéger.

Quelles solutions ont été explorées pour parvenir à une meilleure répartition mondiale de la nourriture ?

Beaucoup, et depuis longtemps ! La plus évidente est d’augmenter l’offre en rendant l’agriculture plus productive, avec de meilleures semences, des variétés adaptées au changement climatique, de bonnes filières de transformation et de commercialisation. Pour les plus pauvres, les systèmes de chèques alimentaires permettent l’accès à des aliments de première nécessité. Globalement, pour réussir à éradiquer la faim, il faut un mix de solutions politiques, agronomiques, sociales… et bien sûr la paix et le progrès !

Les critiques des mouvements écologistes contre l’agriculture intensive vont-ils à l’encontre de l’enjeu de nourrir l’humanité entière ?

Renvoyer systématiquement les paysans à une petite agriculture familiale paysanne locale, c’est très bien si les gens sont prêts à retravailler la terre. Le problème, c’est que ce secteur peine déjà à recruter et les nouvelles installations sur de micro-modèles butent souvent sur la pénibilité, la précarité, le manque de débouchés, car les consommateurs regardent d’abord le prix. Bien sûr, il faut associer les modèles et non les opposer. Tout le monde peut trouver sa place… mais sans les marchés d’intérêt national, type Rungis, sans une agriculture efficace et performante, les villes basculent dans la faim. Et la faim, dans les pays pauvres, c’est la révolution. Et les migrations. 

Une agriculture qualitative et respectueuse de l’environnement, comme ces mouvements l’entendent, est-elle compatible avec la fin des crises alimentaires ?

Il faut bien comprendre que dans l’agriculture, ce n’est pas parce que vous êtes « petit » que vous êtes forcément vertueux, et gros, forcément néfaste. C’est un métier qui demande beaucoup de compétences : en gros, il faut être bon en tout, la météo, les sols, les cultures ou les élevages et leur protection, mais aussi la transformation et la commercialisation. Combien coûte la tonne de blé produite ? Ou le kilo de tomates ? Combien d’eau, de main-d’œuvre, de produits de traitements a-t-on mobilisé pour les produire ? Même en bio, il faut traiter ! Il y a beaucoup d’hypocrisie et de mensonges dans les nouveaux dogmes agricoles, qui prétendent qu’avant c’était mieux (non, la nourriture manquait et était souvent avariée), et que tout le monde rêve de retravailler à la binette. 

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Je vous donne un exemple : pour réussir le fameux Pacte vert de l’Union européenne, qui veut réduire de moitié l’usage des produits de traitement d’ici 2030, il faut pouvoir combiner une nouvelle conduite des cultures, ce qui suppose une grande technicité, de la pulvérisation d’ultra haute précision et la génomique végétale, pour trouver des variétés plus adaptées aux nouvelles conditions climatiques et à une pression parasitaire qui s’exacerbe avec la mondialisation. Or l’Europe refuse à la fois le génie génétique et les produits de traitements (qu’elle s’autorise pourtant dans la santé, avec les vaccins ARN et les thérapies géniques !). Pour les agriculteurs, le métier devient de plus en plus compliqué. Comme si nous étions devenus des enfants gâtés, habitués à ne manquer de rien, et que nous pouvions maltraiter et critiquer sans cesse ceux qui nous nourrissent. 

L’agriculture française reste une agriculture familiale, confrontée au défi de la transmission : 20 000 départs en retraite chaque année, 14 000 installations seulement, une exploitation sur trois ne trouve pas de repreneur.

Sylvie Brunel

Depuis que les considérations écologiques sont arrivées sur le devant de la scène, comment le monde agricole s’est-il adapté aux enjeux environnementaux ?

Il ne cesse de se remettre en question : pas une filière, pas une région qui ne s’interrogent sur les meilleurs moyens de progresser, d’autant que la PAC 2023 – 2027 met l’environnement au premier plan, avec les « éco schèmes » qui introduisent des conditionnalités écologiques très poussées. 

Comment le monde de l’agriculture envisage-t-il aujourd’hui les problématiques environnementales et alimentaires liées à la surexploitation des sols ou encore aux usines à vaches, à volailles, etc. ?

Justement, la question des sols est devenue centrale. Jamais on n’a autant travaillé sur leur protection, la richesse des échanges entre les plantes et leur substrat, la symbiose mycorhizienne, etc. Mais les attaques contre des modèles présentés comme « productivistes » ou « industriels » sont insensées. L’agriculture française reste une agriculture familiale, confrontée au défi de la transmission : 20 000 départs en retraite chaque année, 14 000 installations seulement, une exploitation sur trois ne trouve pas de repreneur. Ce n’est pas en renvoyant les gens vers des modèles du passé, qui continuent de provoquer un exode rural massif dans le monde, qu’on résoudra ce problème. Nous n’avons pas d’usines à vaches en France, où les exploitations sont familiales et valorisent des milieux difficiles. Quant aux volailles, la viande qui progresse le plus, c’est très bien d’envoyer les poules dehors, mais il y a trois problèmes : la grippe aviaire, les prédateurs (buses, renards, belettes…) et le prix ! Du coup, on importe n’importe quoi de n’importe où, alors qu’on a une des meilleures agricultures au monde !

Quelles mutations sont en marche dans le monde agricole pour relever les défis que sont nourrir le monde et la transition écologique ?

De très nombreuses mutations, qui concernent la conduite des cultures, ce qu’on appelle les itinéraires techniques, les variétés cultivées, les machines d’ultra précision pour réduire le risque de dérives, l’agriculture de conservation, l’agroécologie, l’agroforesterie… Le profane n’a aucune idée des innovations en cours dans une profession qui est l’une des plus qualifiées et des plus équipées !

Les bouleversements climatiques risquent-ils de relever les risques de famine dans les pays développés ? La façon d’en limiter les effets est-elle étudiée ?

Bien sûr ! La FAO [Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, NDLR] nous dit qu’il va falloir continuer à produire, car les 9,5 milliards de personnes que nous serons en 2050 nécessiteront 3,4 milliards de tonnes de céréales, contre 2,7 aujourd’hui. Certes les pertes à la production dans les pays pauvres et le gaspillage dans les pays riches permettront d’accroître les disponibilités, mais cela ne sera pas suffisant. En France, certaines cultures remontent vers le nord, comme la lavande ou les agrumes, mais vouloir supprimer le maïs par exemple serait une tragique erreur : c’est la première plante nourricière au monde, une alliée du climat, car elle absorbe beaucoup de carbone (elle est dite en C4), une des moins traitées, des plus productives (ses rendements sont tels qu’elle est celle qui optimise le mieux l’eau reçue) et des plus utiles sur le plan alimentaire, comme sur celui de la chimie verte. L’Europe en est la première importatrice mondiale et nous avons la chance en France d’être le premier producteur de cette céréale stratégique, et le premier exportateur mondial de semences de maïs. Vouloir supprimer le maïs, c’est tirer contre son camp !

Conférence-débat sur le thème « comment nourrir le monde », suivi d’un dîner, jeudi 22 juin à 16 h 30 à la salle du Haut-Phare, Le Neubourg. Participation : 35 € par personne. Inscriptions au tél. : 02 32 35 02 18.

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