Blaise Pascal : béatification en vue

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Le monde des pascaliens est en émoi. Depuis quelques semaines, la rumeur court que, lundi 19 juin, à l’occasion des 400 ans de la naissance de Blaise Pascal, le pape va s’exprimer. À midi, très précisément. Un petit colloque sur l’auteur des Pensées a même été suscité pour lundi après-midi à Rome. Mais de quelle couleur sera cette fumée pascalienne ?

Une lettre apostolique comme pour les 700 ans de la mort de Dante, sur fond de pandémie ? Le 25 mars 2021, le pape François avait loué « le prophète d’espérance », dont l’œuvre permettait de « redécouvrir le sens perdu ou obscurci de notre voyage humain », une inspiration, un émerveillement, une leçon rappelant que « la grande poésie et la foi peuvent fleurir également sur un terrain dévasté ». En décembre 2022, il avait récidivé à propos de saint François de Sales. Ces lettres sont des exhortations. Des incitations. Elles dessinent un panthéon papal, des phares désignés par le souverain pontife pour servir de lumière aux croyants et aux non-croyants.

En odeur de sainteté

Ou bien y aura-t-il davantage qu’une lettre ? Chez les pascaliens, on se remémore cette interview donnée par le pape François à La Repubblica en 2017, quand son fondateur Eugenio Scalfari l’avait sollicité sur la possibilité d’une canonisation. La réponse avait été favorable : « Oui, il la mérite. » Depuis, silence radio. « L’occasion est trop belle, avec cet anniversaire, de revenir sur la question pour honorer le dernier génie universel avec Leibniz », déclare Gérard Ferreyrolles, professeur à la Sorbonne, auteur de nombreux ouvrages sur Pascal, « d’autant plus que les papes ont parfois pris position en citant Pascal, notamment Benoît XVI dans son commentaire de l’encyclique Foi et Raison ».

Admirable chrétien, le scientifique Pascal avait, à cette occasion, été cité comme un excellent représentant d’une foi placée au-dessus de la raison mais non contre elle. « Il fut l’un des rares chrétiens à soutenir Galilée. Comme il l’a dit avec humour, que le Saint-Office ait condamné le mathématicien n’empêchera pas ce Saint-Office de tourner autour du soleil. »

À LIRE AUSSIPascal : le legs d’un anticonformisteUne telle éventualité divise cependant les pascaliens. La question a d’ailleurs fait l’objet d’un ordre du jour de la Société des amis de Port-Royal : faut-il canoniser Pascal ? Parmi ses partisans, le même Gérard Ferreyrolles avance les arguments suivants : « Sa vie est celle d’un saint jalonné de conversions, au sens d’un approfondissement de la foi, notamment lors des épisodes de 1646 et de la Nuit de feu, en 1654, l’expérience dite du “Mémorial”. Par ailleurs, ses Pensées ont converti de nombreuses personnes, nous recevons beaucoup de témoignages en ce sens du monde entier. »

En leur temps, Jean Guitton, Paul Claudel, Julien Green, un des martyrs de Tibhirine, le cardinal Poupard, ont exprimé la profonde influence de Pascal sur leur foi. Pour les 300 ans de sa mort, en juin 1962, François Mauriac avait tenu à la Sorbonne un discours, La Dette envers Pascal, où il déclarait devoir tout à cet homme, son talisman, son amulette, son maître dès sa seizième année, qui l’avait aidé à rester fidèle à Dieu, rendant témoignage de Dieu par le seul fait qu’il avait existé. Mais de telles « conversions » peuvent-elles faire office de miracles ?

Pour la cause

Thibaut Bagory n’en doute pas. Ce normalien de l’ENS Cachan, doctorant à Lyon II – son sujet de thèse porte sur « L’être géomètre chez Pascal » – a fondé en novembre dernier la Société des amis de Blaise Pascal (SABP). « Elle a pour objet, à des fins spirituelles, de porter la cause de la béatification. » Cette initiative est née d’un conseil délivré par Mgr Jean-Marie Dubois, promoteur à l’archevêché de la cause des saints pour le diocèse de Paris, qui n’avait pas été hostile à cette initiative. Mais la procédure nécessite l’existence d’une association.

« Nous sommes à la recherche d’un postulateur, qui soit agréé ensuite par le diocèse afin de déposer une demande d’ouverture auprès de la Conférence des évêques où les avis seront recueillis pour savoir si une enquête est opportune », précise Bagory. « Il n’y a eu pour l’instant aucune demande en vue de l’ouverture d’une cause, donc pas d’avis de la Conférence épiscopale, ni du dicastère pour les causes des saints ni de l’archevêque de Paris, canoniquement compétent », nous a répondu Mgr Dubois.

À LIRE AUSSIBlaise Pascal : le savant est derrière Dieu, mais avant le roi ! Bagory a créé un compte Facebook et Instagram, BP1662 (date de la mort de l’écrivain). Début juin, il a organisé à l’église Saint-Médard, à Paris, un dialogue entre le philosophe Pierre Manent, auteur de Pascal et la proposition chrétienne, membre de la SABP, et Laurent Thirouin, pascalien émérite, membre de son conseil de surveillance. Le doyen de ce conseil n’est autre que Philippe Sellier, 92 ans, longtemps président de la Société des amis de Port-Royal, qui a formé nombre de pascaliens.

Les membres de la SABP, étudiants, enseignants, se nomment entre eux les « pascalins », appellation qui avait été donnée aux disciples de Pascal ayant édité ses premiers textes après sa mort. Deux mercredis par mois, ils se réunissent en prière à l’église parisienne Saint-Étienne-du-Mont, où Pascal a été enterré. Ce dimanche soir, avant la messe dirigée par l’archevêque de Paris en l’honneur de l’écrivain, ils viendront prier en petit comité. D’ordinaire, ils se dispersent dans le Quartier latin, qui fut la paroisse du penseur, pour mener une maraude en faveur des sans-abri. Le souci des pauvres, cardinal chez le pape François, est au cœur de leur argumentation. « Nous suivons son exemple », déclare Bagory.

Amour de la pauvreté

« Pascal a évolué dans une purification des hiérarchies », résume Laurent Thirouin, professeur à Lyon II, « la recherche de Dieu à laquelle il s’est consacré, l’intelligence de son questionnement religieux, est frappante pour quelqu’un qui a exercé une telle souveraineté intellectuelle ». Une recherche que Voltaire avait brocardée en son temps sur le mode : quel dommage de perdre son temps à chercher Dieu quand on est un tel génie, la France a raté son Newton. « Certes, l’organisation de la Société des carrosses à cinq sols qu’il avait cofondée avait été pensée pour venir en aide aux miséreux du Blésois, victime d’une terrible disette à l’hiver 1661 », nous précise Laurence Plazenet, qui vient d’établir, avec Pierre Lyraud, une remarquable édition des œuvres complètes de Pascal (éd. Bouquins, 2 000 pages).

« Cet amour qu’il avait pour la pauvreté le portait à aimer les pauvres avec tant de tendresse qu’il n’a jamais pu refuser l’aumône », écrit sa sœur Gilberte dans sa Vie de Monsieur Pascal, qui suit tous les codes de l’hagiographie. À l’article de la mort, il voulut avoir un pauvre à ses côtés, puis mourir dans l’hôpital des pauvres. « Il aimait la pauvreté parce que Jésus-Christ l’avait aimée, mais il n’aimait pas les pauvres », nuance Vincent Carraud, autre expert émérite de l’œuvre pascalienne.

À LIRE AUSSIBlaise Pascal : non à la tyrannie ! Carraud est opposé à un tel projet de canonisation. Il fait partie de ses adversaires, qui jugent l’éventualité incongrue et inopportune. « Je ne nie pas qu’il fut un grand chrétien, je révère Blaise Pascal, mais si la sanctification porte sur l’homme, je rappellerai l’affaire Saint-Ange où il dénonce un capucin de Rouen qui pense mal selon lui certains points de la foi, je rappellerai que, pour mieux réfuter les Jésuites, il leur prête de fausses citations dans son œuvre Les Provinciales. »

Ce n’est en effet pas la moindre des surprises des pascaliens que de voir un pape jésuite mettre en avant l’auteur qui a porté à la Compagnie les coups les plus rudes, détruisant leur casuistique avec son ouvrage. « Quand Jules Ferry accède à l’instruction publique, il met trois provinciales au programme de rhétorique, commentées par Paul Bert, esprit très anticlérical. Pascal a été “canonisé” par la IIIe République pour lutter contre les jésuites et l’autorité royale à laquelle il associait les jésuites », nous rappelle Simon Icard, auteur de l’Apocalypse janséniste (Cerf, 2023).

Récupération catholique

« Dans le panthéon littéraire du XVIIe siècle, Pascal a été l’un des rares auteurs sauvés par la République, avant d’être récupéré dans les années 1920 par les catholiques sous l’influence du philosophe Maurice Blondel », rappelle Vincent Carraud. Des catholiques qui n’ont cessé depuis de défendre la valeur spirituelle de son œuvre et de sa vie. Pour remettre Pascal sur le parvis de l’Église, il a fallu aussi le nettoyer de son étiquette janséniste – le jansénisme ayant été poursuivi et éradiqué par la hiérarchie royale et catholique. « Pour le rapatrier dans le giron catholique, on a récemment voulu démontrer qu’il n’était pas janséniste, que, de toute façon, le jansénisme n’existait pas, que les jansénistes n’étaient que des disciples de saint Augustin, ce qui est inexact. »

Et Simon Icard, comme Laurence Plazenet, de rappeler que le pape François, dans un discours à la Curie, a présenté, voici dix-huit mois, la résistance janséniste comme un exemple d’orgueil démoniaque. Or, voilà qu’il voudrait béatifier l’une de ses figures de proue. À quelle fin ? Le jansénisme n’existe plus. « Le pape a le droit d’initier des dossiers de canonisation qui ne suivent pas la procédure longue, il a un domaine réservé, ce qu’on appelle une canonisation équipollente », précise Laurence Plazenet.

Le risque de l’étiquette

Même chez les universitaires favorables à cette canonisation, on s’accorde à dire que l’on risque, en auréolant Pascal d’une couronne de saint, de le « chapelliser ». « Nous sommes conscients des crispations intellectuelles actuelles », reconnaît Laurent Thirouin. « Le canoniser le classifierait, lui enlèverait toute forme d’autorité universelle. La puissance de Pascal réside dans son caractère inassignable, même si, m’objecte-t-on, je raisonne en Français étroit, qui ne regarde que son pays. En faire un saint le ferait découvrir dans le monde entier. »

« Pascal n’est plus étudié au lycée et il est difficile déjà de l’enseigner sans idéologie à la faculté », regrette Laurence Plazenet, directrice du Centre d’études Blaise-Pascal à Clermont-Ferrand et qui plaide pour une vision laïque de l’auteur des Pensées.

Comme pour toute cause, les opposants farouches croisent le fer avec les défenseurs fervents. Mais Pascal a aussi des partisans réalistes. Si sur le principe, ils sont pour, sur l’opportunité, ils s’interrogent. Plus que pour une canonisation, Laurent Thirouin préfère plaider pour une actualité de Pascal qu’il enseigne auprès des jeunes générations. « Ce scientifique a une manière admirable d’accepter le réel, sans être dans son déni. C’est un esprit qui sait regarder. Il est aussi un grand spécialiste du dialogue, résolu à parler aux gens qui ne partagent pas ses convictions. Toute son œuvre est ainsi un dialogue avec Montaigne, un modèle à imiter mais dont il s’éloigne, car lui déplaisent la nonchalance, l’acceptation, l’accommodement de son prédécesseur. Pascal avait trouvé la méthode pour l’emporter sur ceux qui pensaient autrement : leur donner la parole pour qu’ils s’effondrent d’eux-mêmes. »

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