Pour une fois l’industrie a réussi à faire corps.
Après la vague d’article pour critiquer les effets toujours plus néfastes de l’activité sur les villes et les écosystèmes qu’ils privilégient, une de mes consoeur a subi une attaque en règle des professionnels du secteur.
A la suite de la publication d’une tribune dans le Monde, intitutée « Le tourisme ne crée pas de valeur : c’est une rente assise sur un legs de l’histoire que les siècles ont tamisée, » toute l’industrie s’est élevée contre Elsa Conesa l’auteure du papier.
Nous avons d’ailleurs essayé de rétablir quelques vérités, mais l’agacement est toujours palpable.
Même l’Alliance France Tourisme se lancé dans une importante campagne pour lutter contre les JO bashing et donc le tourisme bashing.
Et dernièrement Rémy Knafou, professeur émérite à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne et l’auteur de « Réinventer (vraiment) le tourisme. En finir avec les hypocrisies du tourisme durable, » nous a adressé une tribune pour répondre à l’article du 1er média national de la presse écrite.
La Tribune de Rémy Knafou :
« C’est une rente assise sur un legs de l’histoire que les siècles ont tamisée.
Or, la rente, par nature, détourne de la création de valeur, de la recherche, de l’innovation, de la formation, » a affirmé la journaliste du Monde.
Le mot « rente » n’apparaît qu’en conclusion, il ne repose sur aucune argumentation. Il s’agit d’une affirmation que son auteure n’a pas cru bon de justifier, ce qui montre dans quel registre se situe cette chronique.
L’analyse de son contenu appelle plusieurs types d’objections.
La première tient à l’usage aussi curieux qu’incertain qui est fait de données pourtant objectives, à savoir les données économiques disponibles sur le tourisme (l’emploi, les retombées économiques, etc.).
Dès la parution de ce papier dans Le Monde, des réponses ont été formulées sur LinkedIn, en particulier par Jean Pinard et par Caroline Leboucher.
Pour le directeur général du CRTL d’Occitanie, « i[évaluer la création de valeur sur le montant d’une taxe parafiscale (taxe de séjours) qui ne revient pas à l’État, tient carrément du génie. »
Quand la directrice générale d’Atout France a souhaité recadrer la journaliste sur les chiffres.
« Nos dirigeants n’ont pas toujours pris au sérieux la dimension économique du tourisme »
Elle découvrirait qu’à côté du déficit de la balance commerciale, qui se compte en dizaines de milliards après avoir dépassé 100 milliards au plus profond de la crise de l’énergie, en dépit de la performance de l’aéronautique, de l’agriculture ou du luxe, il y a une ligne intéressante dont personne ne parle jamais : le poste voyages de la balance des paiements.
Avec un solde positif record, en 2023, de 18 Mrd €. Pour un secteur qui ne crée pas de valeur, c’est plutôt pas mal non ? Sans parler d’image et rayonnement international, auxquels le tourisme contribue positivement, ce qui a une valeur reconnue et documentée par les économistes,
» analyse Caroline Leboucher.La seconde objection tient à l’usage paradoxal qu’Elsa Conesa fait de l’histoire du tourisme pour justifier du fait que le tourisme ne créerait pas de valeur en affirmant qu’il s’agirait « d’une rente assise sur un legs de l’histoire que les siècles ont tamisée« .
Dans un premier temps, l’idée est d’autant plus recevable qu’elle s’appuie sur des constats partagés, voire d’une extrême banalité, au point qu’elle pourrait s’appliquer à tous les usages que nous faisons des legs du passé, dans un territoire de la très longue durée.
C’est du reste ce qui fait dire à juste titre à Philippe Mugnier le directeur associé de Bloom Consulting : « J’attends maintenant avec impatience la prochaine chronique d’Elsa Conesa « La #culture ne crée pas de valeur : c’est une rente assise sur un legs de l’histoire que les siècles ont tamisée » (ça marche aussi avec le #patrimoine….). »
Qu’il y ait dans le tourisme, une exploitation, parfois molle, d’une rente de situation, cela peut encore se produire et, en tout cas, imprègne certainement la mentalité de nombre de nos dirigeants qui n’ont pas toujours su prendre au sérieux la dimension économique du tourisme.
Il suffit de constater la place du tourisme dans la hiérarchie gouvernementale.
Le tourisme « crée de la valeur là où il n’y en avait pas »
Elle pourrait laisser penser qu’il n’est pas nécessaire de travailler à la compétitivité coûts / hors coûts de ce secteur, ni à sa transformation durable, et que les performances de ce secteur seraient un acquis à tout jamais, faisant fi de la concurrence internationale et des défis environnementaux.
Au-delà de son caractère provocateur, c’est sans doute l’aspect le plus pernicieux de cet article
. »Et j’en arrive à mon objection principale : une insuffisante connaissance et compréhension de l’histoire du tourisme et des processus à l’œuvre qui conduit à énoncer une évidente contre-vérité et, ce faisant, à manquer une bonne occasion de pointer ce qui est réellement critiquable dans le fonctionnement du tourisme et de ses effets sur le foncier, la société, le territoire, l’environnement, etc.
En effet, toute l’histoire du tourisme peut se résumer à l’étonnante capacité de cette pratique à changer notre regard sur le monde en général et sur les lieux en particulier, et, ainsi, à créer de la valeur là où il n’y en avait pas, à la faveur de processus analysés de longue date.
Je vous invite à consulter « Le territoire du vide: L’Occident et le désir de rivage » d’Alain Corbin et « L’invention du Mont-Blanc » de Philippe Joutard, Équipe MIT, Tourismes 1, 2 et 3, etc.
« Cette chronique est une pièce de plus dans la longue histoire de la touristophobie »
Dire que le tourisme ne crée pas de valeur, revient donc à ignorer comment les terrains du bord de mer à Majorque qui, il y a encore à peine trois générations, ne valaient presque rien dans l’économie agricole ont vu leurs prix monter en flèche, à la faveur d’une spectaculaire inversion de valeur entre l’intérieur et le littoral en raison du développement touristique.
Dire que le tourisme ne crée pas de valeur, revient à ignorer que la station d’Avoriaz a été construite sur un alpage dont le nom, en patois, « avorea, » signifiait « ne vaut rien »…
Aujourd’hui, le prix du m2 construit s’y négocie entre 4 500 et 11 000 €, selon l’état, l’exposition, en appartement ou en maison.
On pourrait multiplier à l’envi les exemples de lieux dont la valeur a été plus que centuplée du fait de leur intégration dans l’économie touristique, au point que les effets pervers en arrivent à être légion.
Ces constats valent aussi pour les lieux patrimoniaux légués par notre histoire qui ne sont pas pour autant des héritages faciles à assumer car leur entretien coûte très cher.
Dans quel état serait le château de Versailles sans l’argent des donateurs (américains en premier lieu) et celui des touristes (rappelons que la vente des billets rapporte presque deux fois plus que la subvention d’État) ?
La même interrogation vaut pour Venise, lieu particulièrement coûteux à entretenir dont une bonne partie des constructions non monumentales serait probablement en ruine sans l’argent des touristes.
A lire : Pourquoi le tourisme est-il méprisé par l’intelligentsia ?
Au total, cette chronique n’a ni la légèreté d’une humeur ni le fond d’une analyse économique ; elle n’est malheureusement qu’une pièce de plus dans la longue histoire de la touristophobie de notre intelligentsia, qui aurait pu être une critique utile d’un tourisme très insuffisamment régulé, si elle s’était fondée sur une véritable maîtrise du sujet.
Rémy Knafou
Sur Rémy Knafou :
Entré au CNRS, comme directeur de recherche, il a dirigé le laboratoire « Intergéo », de 1988 à 1995. Il a fondé et dirigé la première équipe française de recherche dédiée au tourisme.
Il est aussi le co-créateur et directeur de Via, la revue scientifique en ligne sur le tourisme, publiée en sept langues et portée par 12 universités de 9 pays différents.
Il est l’auteur de nombreux travaux sur ce sujet qui font aujourd’hui référence.
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