Diplomatie, pouvoir du roi : ce que le séisme révèle du régime marocain

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Alors que nous approchons des 3000 morts dans les provinces marocaines d’Al-Haouz et de Taroudant, le Maroc n’a accepté l’aide humanitaire que de cinq pays, laissant lettre morte aux offres d’aides internationales pourtant nombreuses. Comment comprendre la stratégie diplomatique du Maroc ? Le pays a-t-il les moyens de subvenir aux besoins des populations sinistrées et aux reconstructions à venir ?

Réponses avec nos deux invités Kader A. Abderrahim, maître de conférences à Science Po Paris, directeur de recherches à l’Institut de prospective et de sécurité en Europe (IPSE), auteur Géopolitique du Maroc et Géopolitique de l’Algérie (Bibliomonde).

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Et Pierre Vermeren, professeur d’Histoire contemporaine du Maghreb à l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne. Auteur de Le Maroc en 100 questions : un royaume de paradoxes (juin 2020, éd. Tallandier).

Une aide humanitaire conditionnée à la conjoncture géopolitique

Alors que le séisme a provoqué une urgence humanitaire, seulement cinq pays ont pu acheminer une aide humanitaire. La France notamment s’est vue refuser son accès au terrain. Kader Abderrahim revient sur les  relations entre la France et le Maroc. Selon le chercheur, trois facteurs sont identifiés pour comprendre le délitement des relations franco-marocaines :  » Il y a évidemment le logiciel espion  Pegasus, ce logiciel israélien, qui aurait été acheté par l’état marocain et qui aurait permis d’espionner notamment le  téléphone du président Macron, ce dont les Marocains se défendent, mais ce que les Français ont très mal pris. Il y a la question des visas, la diminution des visas, qui concerne, tout le Maghreb. Et enfin, il semble qu’en Méditerranée, qu’au Maghreb, il y ait la recherche d’autres alliances et d’autres partenariats que la France traditionnelle. ».

La sélection par le royaume marocain de l’aide autorisée à accéder s’explique selon la conjoncture géopolitique. Selon Kader Abderrahim « c’est le sujet de tension par excellence » qui conditionne les relations extérieures avec le Maroc. L’enseignant revient sur les 5 pays autorisés à opérer au Maroc :  « la Grande-Bretagne, car c’est probablement le pays avec lequel le Maroc a le plus ancien traité diplomatique. Ensuite, l’Espagne qui s’est alignée sur la position marocaine au sujet du Sahara Occidental. Il y a également le Qatar et les Émirats, qui pourront sans doute apporter des financements . Et enfin l’Algérie, parce qu’il s’agit de tenter un dégel pour l’avenir. »

Vers la voie de la réconciliation entre le Maroc et l’Algérie ?

L’accord de la part de Rabat de l’aide algérienne peut signifier un réchauffement des relations algériennes et marocaines. Cependant, l’enseignant émet des réserves : « J’aimerais être optimiste : c’est indéniablement une bonne nouvelle, mais il ne faut néanmoins pas aller trop vite. L’annonce officielle, hier soir du décollage de la base militaire de Boufariq, de trois avions de l’armée de l’air algérienne qui se sont rendus sur la zone de sinistre, est une très bonne nouvelle, compte tenu de la  rupture des relations diplomatiques entre les deux pays depuis l’été de 2021. L’espace aérien était fermé, l’équipe marocaine n’a pas pu participer à un match de football dans l’Est de l’Algérie lors des Jeux Olympiques en Méditerranée, car l’Algérie a refusé le survol du territoire algérien d’un appareil marocain. C’est dire à quel point les relations entre les deux pays sont extrêmement tendues, alors que c’est probablement, selon tous les économistes et tous les analystes, la région au monde dont l’intégration économique et culturelle serait la plus facile à réaliser compte tenu de la complémentarité sur le plan économique et social. Il y a même, pendant des siècles, une circulation humaine qui ne connaissaient pas les frontières. Aujourd’hui, ces frontières sont, depuis 1994, hermétiquement fermées, et le DPI se tourne le dos, et c’est peut-être ça, la tragédie la plus importante. »

Une catastrophe qui révèle des inégalités de développement

« Le Maroc est une région très sismique et immanquablement ces événements sont amenés à se reproduire. Ce qui compte pour les Marocains aujourd’hui, c’est qu’il y ait une assistance. Il se trouve que le sinistre a eu lieu près de Marrakech et Agadir, qui sont les deux capitales touristiques, donc il y a des équipements hospitaliers et médicaux supérieurs au reste du pays. Cependant, le séisme a également ravagé des régions de Haute-montagne désormais difficilement accessibles », explique Pierre Vermeren. Les différentes zones touchées sont donc inégalement équipées pour faire face à la catastrophe.

À ce propos, Kader Abderrahim souligne les inégalités régionales au Maroc : « il y a au moins trois Maroc : un où le tourisme s’est considérablement développé — c’est plus de 65% des touristes qui se rendent dans cette région — le Maroc des grandes plaines et le Maroc des villes industrialisées. Il y a dans le nord du pays, là aussi, une région très montagneuse, le Rif, dans laquelle le tourisme s’est beaucoup développé, du fait de l’impulsion qui a été donnée par le roi  Mohammed VI, qui, lors de son accession au trône, lui qui aime beaucoup cette région, a considéré qu’il fallait se développer, alors que son père ne s’y était quasiment jamais rendu. Hormis une fois au tout début de son règne et dans des circonstances sur lesquelles on ne peut pas revenir ici. Mais oui, c’est un pays de grande inégalité. Je me suis penché hier sur les statistiques que fait la Banque africaine de développement. Je préfère celle-ci parce qu’elle tient compte d’éléments dont on ne tient rarement compte comme ceux de la  Banque mondiale qui considère aujourd’hui que le Maroc est la cinquième puissance économique sur le continent africain et le deuxième pays industrialisé. Par comparaison, si j’ose dire, l’Algérie se situe en 11ᵉ position. Donc le Maroc, indéniablement, a des atouts, mais il peine à tenter de favoriser un développement qui serait équitable entre les différentes zones du pays. »

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