Emmanuel Macron : le président le plus bavard de la Ve République, par Gérald Bronner

, Emmanuel Macron : le président le plus bavard de la Ve République, par Gérald Bronner
, Emmanuel Macron : le président le plus bavard de la Ve République, par Gérald Bronner

La stratégie de communication d’Emmanuel Macron donne souvent le sentiment qu’elle est erratique. Sans parler du fond des messages qui sont délivrés, la fréquence même de ses prises de parole déconcerte. Restant silencieux pendant de longues périodes, donnant l’impression qu’il veut incarner la fonction présidentielle par le silence, il devient soudainement loquace et s’invite à la télévision pour des temps parfois très longs comme ce fut le cas mardi 16 janvier où il a monopolisé TF1, France 2… huit chaînes au total, pendant plus de deux heures.

Publicité

Il avait annoncé pourtant sa philosophie lors de sa première élection de 2017 : sa parole serait rare. Cette déclaration n’a pas tenu longtemps devant les faits. Ceux qui, plus tard, analyseront les allocutions du président de la République auront affaire à des discours-fleuves. L’une de ses prises de parole mémorable s’était faite lors du grand débat national, le 15 janvier 2019, face à 600 maires durant près de sept heures ! La prestation est physiquement remarquable mais, à la longue, cela est-il convaincant ? Emmanuel Macron est sans doute, contrairement à ses intentions initiales, le président le plus bavard de la Ve République.

LIRE AUSSI : Biodynamie : « La sortie de Catherine Vautrin n’est plus tolérable »

Mais la question se pose donc : est-il utile de parler beaucoup et souvent pour être entendu ? Dans un premier temps on trouve des arguments pour répondre oui à cette question. En effet, la science a beaucoup étudié les effets d’un message répété sur les esprits et a mis à jour un processus nommé « l’effet de simple exposition ». C’est un célèbre psychologue social de l’université du Michigan, Robert Zajonc qui, le premier, montra que la familiarité avec une information avait tendance à nous la faire interpréter de façon positive. Répéter le même message peut donc être payant. Cet effet a été reproduit des dizaines de fois expérimentalement. Il a été montré que même une information fausse, lorsqu’elle se répète dans le temps, finit par être crue plus facilement. Il y a plus : lorsque les individus savent cette information fausse, sa répétition la leur fait percevoir tout de même comme plus probable qu’initialement. Ce message, en raison de l’impression de familiarité qu’il inspire, altère donc en partie notre perception de la plausibilité. La chose est bien connue dans le domaine publicitaire mais elle a été testée aussi dans celui des assertions politiques en obtenant les mêmes effets.

Militarisation du langage

Pourtant, chacun sait bien que lorsque le message devient un refrain, il finit par lasser. Non seulement nous y sommes moins attentifs mais les réactions qu’il suscite finissent par s’émousser. Là aussi, c’est exactement ce que la science montre. La réaction à un stimulus répété provoque une réponse qui est de plus en plus faible. C’est ce que l’on pourrait appeler un effet de saturation. Emmanuel Macron, par sa communication erratique et incessante, donne l’impression que son discours est aujourd’hui confronté à cet effet de saturation. Ainsi, malgré les moyens considérables qui ont été utilisés, la part d’attention des Français consacrée à la dernière prise de parole présidentielle destinée à relancer le quinquennat n’a atteint que 8,7 millions de nos concitoyens. Ce n’est pas rien mais c’est moins que les 10,2 millions qu’il avait réunis pour ses vœux et les 15 millions qui l’avaient écouté à propos de la réforme des retraites dans des conditions médiatiques pourtant moins favorables.

LIRE AUSSI : Macron et le « réarmement démographique » : une stratégie vouée à l’échec

Il ne faut pas chercher plus loin que dans la claire conscience inquiète de cet effet d’émoussement, l’inflation même du langage politique en général. On se souvient, par exemple, que François Hollande avait usé jusqu’à la trame la notion déjà emphatique de « pacte » : pacte de responsabilité, de solidarité, de croissance… Pas assez fort ? Qu’à cela ne tienne, la Macronie a fait sienne la notion de « choc », déjà un peu plus guerrière : « choc des savoirs », « choc de fiscalité ». Lorsque le verbe lasse, il enfle comme un bœuf. Mais voici qu’est venu le temps du réarmement : « réarmement civique », « réarmement démographique »… Cette militarisation du langage me semble moins indiquer, comme certains le craignent, un autoritarisme qui monte, que la claire conscience d’une certaine impuissance.

Gérald Bronner est sociologue et professeur à La Sorbonne Université.

Cette chronique est reproduite du mieux possible. Si vous désirez apporter des explications sur le sujet « Anciens et étudiant de Panthéon-Sorbonne », vous avez la possibilité de d’échanger avec notre rédaction. Notre plateforme sorbonne-post-scriptum.com vous conseille de lire cet article autour du thème « Anciens et étudiant de Panthéon-Sorbonne ». La fonction de sorbonne-post-scriptum.com est de rassembler sur le web des données sur le sujet de Anciens et étudiant de Panthéon-Sorbonne et les diffuser en répondant du mieux possible aux interrogations des gens. En consultant régulièrement nos pages de blog vous serez au courant des prochaines publications.