En Egypte la présence française dans l’Enseignement fête ses 170 ans

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De notre envoyé spécial Antoine Bordier

Le Caire, la capitale de l’Egypte avec ses 20 millions d’habitants qui débordent de plus en plus sur les dunes alentours. Avec son agglomération, elle s’étend d’année en année vers le désert de sable qui l’entoure. Pensez : plus de 90 % du territoire égyptien est recouvert de ce petit grain doré, parfois blanc, rarement noir, qui mesure moins de 3 mm. Il peut provenir de la péninsule du Sinaï, à l’est, ou du désert de Libye, à l’ouest, ou, encore, du sud de l’Egypte, emporté par le vent qui porte le joli nom de Khamsin et qui souffle jusqu’aux abords de la Méditerranée.

Saint Louis ne mettra jamais les pieds au Caire. Au 13è siècle, lors de sa deuxième croisade, il est vaincu juste avant et fait prisonnier. Il sera libéré sous forte rançon. Napoléon, lui, en cette fin du 19è siècle, arrive au Caire en vainqueur. Nous sommes, exactement, en 1798. Il n’est pas venu seul. Il est accompagné de près de 200 personnalités du monde de l’art, de la culture et de l’enseignement. Il s’agit d’archéologues, de grands chercheurs, d’experts, de professeurs et de scientifiques. C’est cela le génie de Napoléon : savoir s’entourer. Il apprécie l’Egypte, l’Islam et les Coptes qu’il rencontre. Il aime et favorise la culture égyptienne qu’il trouve géniale. A tel point qu’il fonde l’Institut d’Egypte au Caire. A ce moment-là, il déclare : « C’est en me faisant catholique que j’ai gagné la guerre en Vendée, en me faisant musulman que je me suis établi en Égypte, en me faisant ultramontain que j’ai gagné les esprits en Italie. Si je gouvernais un peuple juif, je rétablirais le Temple de Salomon. »

La Francophonie et l’Institut d’Egypte

Comme l’indique l’information officielle de l’époque : « Le Général en Chef Bonaparte, par un arrêté en date du 3 fructidor an 6, a ordonné qu’il sera établi au Kaire un Institut pour les Sciences et les Arts. Cet établissement doit principalement s’occuper : du progrès et de la propagation des lumières en Egypte ; de la recherche, de l’étude et de la publication des faits naturels, industriels et historiques de l’Egypte… »

Ce qui est intéressant de constater, c’est que ce sont les beaux-arts, la littérature, les mathématiques et la physique qui sont mis en avant, sans oublier l’économie et la politique. Cet institut francophone, qui s’établit dans un premier temps au Caire fermera ses portes en 1801. Puis, il sera relancé en 1836 et s’établira à Alexandrie en 1859. Napoléon avait du génie, des parts de lumières et des ombres ténébreuses en lui. Avec lui, il avait emporté à bord de ses navires des imprimeries qui tournèrent à plein régime pour éditer trois revues : le Courrier de l’Egypte, La Décade égyptienne et les Mémoires sur l’Egypte. En plus, l’Institut travaille sur l’éducation en Egypte. Et Napoléon veut y favoriser des missions étudiantes. Francophonie oblige !

Ouverture de la première école française

Certes, il ne serait pas juste d’oublier, que les premières traces d’un enseignement francophone en Egypte remonte aux temps des jésuites, qui s’y installèrent vers 1697. Mais, il s’agissait, alors, d’ouvrir un Séminaire et de former des futurs prêtres.

« Les frères de Lasalle sont arrivés au Caire en 1854. Et, ils ont fondé le collège Saint-Joseph-Khoronfish, à la suite du don du terrain par Saïd Pacha [le gouverneur d’Egypte et du Soudan]. Nous venons de fêter les 170 ans de notre présence, ici. Si nous parlons chiffre, ce sont près de 100 000 élèves qui sont passés ici. Nous n’avions que des garçons et nous avons ouvert cette année des classes mixtes. », explique frère Sameh Farouk.

« Au début, les 4 frères se sont installés à Al-Musky, un quartier qui se situe près du musée islamique du Caire. Ils vivaient chichement et ont ouvert une petite école pour les pauvres. Ce qui est drôle c’est qu’ils ne parlaient pas l’égyptien et que les enfants ne parlaient pas un mot de français… »  L’aventure de l’amitié franco-égyptienne démarre ainsi : par l’école française !

En passant par la Turquie

Tout a commencé en Turquie, dans l’empire Ottoman. « 4 frères sont venus de Turquie en 1847. Ils se sont installés à Alexandrie. Et, ensuite au Caire. Les frères sont très demandés, leur enseignement est reconnu. Et, c’est à l’invitation de Saïd Pacha, l’un des fils de Mohamed Ali, le vice-roi, qu’ils s’installent en Egypte. » L’Egypte de l’époque investit énormément dans l’enseignement pour sa population qui se chiffre seulement à 4 millions d’habitants – aujourd’hui, ils sont plus de 105 millions. Et, le rôle de Saïd Pacha y est indéniable.

L’affrontement entre l’Angleterre et la France, entre la culture anglosaxonne et la culture francophone – qui existe toujours de façon plus ou moins affichée – est d’actualité. Francophile, Mohamed Ali et ses fils se sont vus être contrecarrés dans leur désir et leur projet politique d’établir davantage de relations entre la France et l’Egypte. L’Empire ottoman, en effet, s’était rapproché de l’Angleterre qui l’entendait autrement. Saïd Pacha s’entêta, néanmoins, et redonna à la France et à la Francophonie sa place de partenaire et de culture privilégiée. C’est, ainsi, que Champollion, Mariette, Ferdinand de Lesseps, puis Loti, furent les bienvenus en terre des pharaons.

Le français et les Lasalliens

L’enseignement du français en Egypte apparaît sur les bancs de l’école en 1850. Il va vite en devenir la seconde langue. Les élites du pays vont, d’ailleurs, se ruer dans les écoles des Lasalliens. Ces-derniers sont des experts en éducation et en enseignement. C’est pour ainsi dire leur vocation. « Nous ne sommes pas des prêtres, nous sommes des frères de l’Enseignement », insiste le Supérieur.

Ils sont dédiés à l’enseignement à 100 %, 24h sur 24. C’est ainsi que l’a voulu leur fondateur : saint Jean-Baptiste de La Salle, au 17è siècle. Il fonde une sorte d’école d’instituteurs, qui deviendra les Frères des Ecoles Chrétiennes.

Aujourd’hui, les Lasalliens sont présents sur les 5 continents, « dans 80 pays ». A travers leurs mille écoles, ils accueillent près d’un million d’élèves. En Egypte, ce sont 10 000 élèves égyptiens qui passent leur enfance et leur adolescence sur les bancs des 6 écoles lasalliennes.

Au service de la jeunesse

« Je suis arrivé ici en 2009 et je suis devenu le directeur, il y a 4 ans. Nous avons 1500 élèves, de la primaire au lycée. La plupart des familles sont pauvres. Elles participent aux frais de scolarité, mais, pour la plus grande part, nous les prenons à notre charge. Notre vocation ? C’est d’aider ces jeunes, de les former et de les préparer à affronter leur vie future. Ce n’est pas facile du tout, car l’Egypte après avoir connu la révolution du printemps arabe, l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans, est, maintenant, en proie à une crise économique et sociale profonde. »

C’est pour cela que les familles, qu’elles soient musulmanes ou chrétiennes, frappent, nombreuses, à la porte de Saint-Joseph.

La bonne nouvelle du fonds d’Orient

Il a été créé par le gouvernement français et l’Oeuvre d’Orient en 2020. Cette ONG, qui existe depuis 1856, est présente dans 23 pays, et, notamment, en Egypte. « L’association l’Œuvre des Écoles d’Orient – c’est comme cela qu’elle s’appelait au départ – a été fondée par des professeurs de la Sorbonne : le mathématicien Augustin Cauchy, l’helléniste Charles Lenormant, Alfred de Falloux, Charles de Montalembert et le Père de Ravignan. »

160 ans plus tard, en 2020, le fonds est créé, à l’initiative du président de la République Emmanuel Macron. En 2018, ce-dernier a commandé à Charles Personnaz, un haut-fonctionnaire de la Cour des comptes, un rapport sur la situation des écoles francophones au Moyen-Orient. L’Egypte est dans son sujet. Le rapport est alarmant : les écoles ont été fragilisées à la suite des guerres et des crises actuelles. Emmanuel Macron fait alors cette annonce le mercredi 22 janvier 2020, alors qu’il est en visite à Jérusalem : « Nous allons lancer un nouveau fonds par lequel nous allons financer l’ensemble des écoles des chrétiens d’Orient. » L’association est destinée à soutenir les écoles francophones au Liban. En 2022, le fonds est doublé.

Immersion à Khoronfish et dans l’Education nationale

Les 160 salariés de l’école ont mis les petits plats dans les grands. Début mars, déjà, les festivités des 170 ans avaient commencé officiellement, avec l’accueil des personnalités laïques locales, du représentant du Vatican, du représentant de l’Etat français, et du Supérieur général des Frères de La Salle.

Les 1500 élèves étaient aux anges. Ils le sont toujours. D’autant plus qu’en bénéficiant de la scolarité des Lasalliens, ils reçoivent le soutien et la reconnaissance de l’Etat égyptien, celle de l’Etat français, et celle de l’Oeuvre d’Orient. La France reste un phare qui éclaire dans la nuit.

« Ici, vous n’avez pas 100 élèves par classe. Ils sont en primaire au maximum 45, dans le secondaire et au lycée 30. » Sur les bancs des écoles publiques de la République égyptienne, il est courant de voir 90-100 élèves par classe. Les professeurs ne s’en cachent pas : « Nos conditions de travail sont très mauvaises. »

Il y a 10 ans, lors du classement international des pays en termes d’éducation, l’Egypte se retrouvait en queue de peloton. Devant elle ? Plus de 140 pays. Aujourd’hui, qu’en est-il ? Si l’Egypte a comblé son retard concernant le classement mondial de ses universités, et caracole en tête, elle n’a pas réussi dans l’enseignement primaire et secondaire. La raison ? Une démographie galopante qui dépasse ses capacités d’investissement.

« Ici avec une centaine de millions d’habitants, nous avons un afflux d’élèves très importants. Mais, grâce à notre culture lasallienne, grâce à notre discipline, notre règlement intérieur, notre uniforme, et, surtout la qualité de nos enseignants, nous tenons nos classes. » En France, avec plus de 40 élèves par classe, tout le système s’écroulerait. Ce serait la révolution.

Des personnalités de premier plan

« Nous avons beaucoup d’anciens élèves qui sont devenus des avocats, des médecins, des juges, et des entrepreneurs. Nous avons une partie, aussi, qui se sont émigrés au Canada, aux Etats-Unis, en France. » Depuis 170 ans, l’école a vu passer entre ses murs quelques élèves connus comme le futur artiste Najib Al-Rihani, le futur leader politique et écrivain Mustafa Kamel, le Docteur Esmat Abdel Majeed, le futur Premier ministre Ismail Sidqi Pacha, etc.

Parmi les anciens, aujourd’hui, il faut noter la présence d’André Ragheb, qui est l’heureux propriétaire de la Librairie française. Cette librairie distribue les marques d’éditions Hachette, Didier, Larousse, Hatier, Nathan, etc. Il y a, aussi, des entrepreneurs comme Mamdouh Yassin, patron d’Eurostone Marble & Granit ; Georges Sobhi, qui possède des cliniques.

L’un des anciens est l’éminent Marcus Simaïka Pacha, dont la vie se résume à cette phrase : infatigable serviteur de l’art arabe et copte. Il a été le directeur du musée Copte du Caire. Enfin, citons les plus hauts personnages de l’Etat : Mazloum Pacha, ministre des Finances ; Ibrahim Pacha Fouad, ministre de la Justice ; Emin Pacha Sid Ahmed, sous-secrétaire d’État à la Justice ; Joseph Saba Pacha, directeur général des Postes égyptiennes, etc. N’oublions pas non plus Naoum Shebib, à qui l’on doit la célèbre Tour du Caire, l’immeuble du journal Al-Ahram, et la construction de toits de voûtes minces en béton armé pour divers bâtiments : cinéma, bâtiment commercial, églises. Les Egyptiens sont des… bâtisseurs !

Les voisins de Gaza et le Vivre Ensemble

Le Supérieur évoque le vivre ensemble et la présence des musulmans. « Ils sont devenus majoritaires. Avant, il y a une cinquantaine d’année, il y avait à peu près 70% de chrétiens, 20% de juifs et 10% de musulmans. Maintenant, ces-derniers sont 51%. Ils respectent notre confession et nos règles chrétiennes. Nos établissements sont le seul endroit en Egypte où toutes les religions se retrouvent ensemble. Et, elles s’entendent à merveille. »

Il évoque Gaza où le vivre ensemble continue, malgré tout. Quel est leur secret, alors que les bombes continuent à pleuvoir sur Gaza, à cinq heures de route du Caire ? Là-bas, les habitations encore debout se comptent sur les doigts d’une main. Et les pierres vivantes musulmanes et chrétiennes gazaouies se concentrent dans les camps. Coupée du monde cette humanité en mode survie n’envoie plus ses enfants à l’école. Chrétiens et musulmans survivent ensemble.

« Nous transmettons les valeurs de l’acceptation de l’autre, du vivre ensemble et de l’entraide. A nos messes, il y a les musulmans, les chrétiens protestants, catholiques et les orthodoxes. » Il évoque le président Al-Sissi : « Avec lui, avec son gouvernement, l’Egypte est de nouveau apaisée. Les choses se passent très bien. » Les écoles lasalliennes sont devenues une référence.

Les projets 2024-2025

Il resterait, pour conclure, à évoquer les projets. « Oui, nous avons des projets d’investissement comme la mise en place des tableaux blancs numériques interactifs, les panneaux solaires photovoltaïques. Nous voulons réaménager, également, notre petite cour intérieure. » Il resterait une dizaine de classes à équiper en tableau blanc, pour un montant global de 10 à 12 000 euros. Il doit, aussi, voir pour l’accueil des jeunes filles le réaménagement des toilettes, pour un montant qui se chiffre à près de 30 000 euros. Quant au projet solaire, il se chiffre à 50 000 euros. Il est en pleine recherche de bienfaiteurs.

Enfin, depuis deux ans, depuis qu’ils ont reçu le Label France-Education, l’école investit de plus en plus dans le matériel pédagogique, la bibliothèque, qu’ils ont besoin d’enrichir. Avec 50% d’élèves francophones, le Supérieur est fier de cette excellence bleu-blanc-rouge qui se transmet depuis 170 ans. Avec de tels serviteurs, la Francophonie en Egypte a de beaux jours devant elle. Il est à noter, pour conclure, que le collège Saint-Joseph de Khoronfish est le dernier, en Egypte, à avoir une communauté de frères.

Pour en savoir plus, contactez le Supérieur, Frère Sameh Farouk : frsameh3@yahoo.fr                                                                                                            

Reportage et photos réalisés par Antoine Bordier

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