Agnès Pannier-Runacher : Le titre et l’article disaient exactement le contraire de son propos, mais surtout de la vision que porte le président de la République et de l’action qu’il a eue en matière européenne depuis sept ans. Il est le premier dirigeant européen à avoir assumé le concept de souveraineté, dès 2017, lors du discours de la Sorbonne. Le président de la République porte un propos de bon sens : face aux puissances auxquelles nous sommes confrontés, la Russie, les États-Unis, la Chine, des puissances émergentes comme l’Inde et le Brésil, la France a besoin d’alliés puissants. Et il faut que ces alliés partagent le même ensemble de valeurs qu’elle. C’est pourquoi ce sont naturellement nos alliés européens. Tous ceux qui prônent l’affaiblissement de l’Europe prônent en creux l’affaiblissement de la France.
Paul Melun : Il y a une évolution sémantique autour du concept de souveraineté. Elle est souvent utilisée pour parler de souveraineté européenne. Or je considère que la souveraineté ne peut pas être un fédéralisme masqué, elle est attachée à un peuple, à une nation, à une culture. Il existe d’ailleurs une vision de l’Europe qui observe les souverainetés nationales – et il s’agit même de la genèse de l’Europe. En 1795, Kant écrivait que les peuples composent une multitude d’États différents qui ne doivent pas se confondre en un seul. Là se trouve le creuset de la construction européenne. L’Europe peut être une alliance qui permet de favoriser des pans entiers de l’économie française, voire des coopérations en matière de défense, de stratégie militaire ou agricole, mais l’Europe n’a pas pour vocation de se substituer à la souveraineté nationale.
Pendant la crise agricole, la colère des agriculteurs s’est focalisée sur l’UE. Est-ce parce que nous cédons une part croissante de notre souveraineté à Bruxelles ?
P. M. : La souveraineté de la France, son indépendance et sa capacité à protéger la planète dépendent principalement des paysans et de leur travail. Or les institutions européennes sont particulièrement incohérentes et prennent des directives qui vont durablement nuire aux agricultures nationales. L’inflation de normes en tout genre va contraindre les exploitations agricoles à de plus en plus de sacrifices tandis que les importations vont se poursuivre et s’intensifier. Je vais sortir le mot qui fait hurler les tenants de l’Europe libérale classique, qui est le mot de « protectionnisme ». Si on continue d’importer des produits agricoles du monde entier, dont les normes sont infiniment moins strictes qu’en Europe, nos agriculteurs vont continuer de souffrir et de s’appauvrir.
Il est incohérent d’assaillir les agriculteurs français, belges, allemands ou italiens de normes tout en continuant d’importer du bœuf aux antibiotiques du Canada ou de nouer des partenariats commerciaux avec la Nouvelle-Zélande qui se trouve à 20 000 kilomètres ; vous avez beau jeu de dire que vous voulez baisser les émissions de gaz à effet de serre en Europe. Là où je constate une hypocrisie des institutions européennes, c’est de partir d’un objectif louable, qui est la conservation écologique du Vieux Continent, qui est indispensable, et d’avoir une hémiplégie sur certains sujets. Par exemple, de s’arc-bouter sur des dogmes libéraux et ultralibéraux qui mènent à des accords de libre-échange qui, selon moi, sont tout à fait préjudiciables. C’est une des vraies revendications des agriculteurs.
« Gouverner, c’est prévoir. Nous devons anticiper »
A. P.-R. : Les échanges existent, c’est un fait. Les accords de libre-échange que nous mettons en place permettent d’encadrer ces échanges et d’en discuter les conditions, pour faire en sorte qu’il n’y ait pas de concurrence déloyale. C’est ce que permettent les clauses miroirs par exemple. Mais disons-le franchement : la colère des agriculteurs n’a rien de spécifique à la France ou à l’Europe, elle est d’abord la conséquence de l’impact du dérèglement climatique sur l’agriculture. C’est l’éléphant au milieu de la pièce. Depuis le début de l’année 2024, au Canada, en Inde, au Maroc, vous avez aussi eu des manifestations très importantes d’agriculteurs. Il y a une angoisse existentielle des agriculteurs par rapport au devenir de leur activité.
À cela, il y a une réponse politique à apporter, et nous l’apportons. Nous devons être pragmatiques et simplifier les règles, car enfermer le vivant dans des normes, en particulier dans un contexte d’aléas climatiques, ça ne fonctionne pas. Quand vous expliquez aux agriculteurs qu’il faut tailler les haies entre le 15 septembre et le 15 mars, et qu’à cette période il n’arrête pas de pleuvoir, il est impossible d’appliquer la norme. C’est un des éléments qui explique la grande colère des agriculteurs. Ils ne sont pas rétifs à s’engager dans l’agroécologie, bien au contraire, mais ils ont besoin de règles qui collent à la réalité de leur activité sur le terrain. C’est pourquoi nous les avons adaptées.
Madame Pannier-Runacher, vous êtes parvenue en 2023, lorsque vous étiez ministre de la Transition énergétique, à faire reconnaître le nucléaire dans la directive européenne sur les énergies renouvelables. Vous souhaitez par ailleurs augmenter le nombre d’EPR en France. Il aura pourtant fallu attendre son second quinquennat pour qu’Emmanuel Macron se convertisse à la filière…
A. P.-R. : Je suis ministre depuis octobre 2018. J’ai commencé par travailler sur le contrat stratégique de la filière nucléaire signé en 2019. En 2020, parmi les cinq secteurs prioritaires du plan de relance figurait le nucléaire. Vous le voyez, le président de la République n’a pas attendu la guerre en Ukraine pour s’investir dans la filière nucléaire. En 2021, il fait les annonces au Creusot sur la filière de défense nucléaire. Le 10 février 2022, il prononce le discours de Belfort et annonce la construction de six nouveaux réacteurs et la mise à l’étude de huit réacteurs complémentaires. Toute la politique énergétique que j’ai portée à la demande du président de la République repose sur un triptyque qui est assumé : sobriété et efficacité énergétiques, énergies renouvelables, énergie nucléaire.
Vous parlez d’annonces de fermeture de réacteurs. Les réacteurs nucléaires qui fonctionnent aujourd’hui en France sont issus d’une génération construite à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Ils ont été initialement construits pour quarante ans. Gouverner, c’est prévoir. Nous devons anticiper. Nous avons la responsabilité d’anticiper leur fermeture future tout en faisant le maximum pour les faire durer le plus longtemps possible. Et donc oui, des réacteurs fermeront un jour, dans les années qui viennent, comme partout dans le monde. Et c’est cela que nous essayons d’anticiper.
Au niveau européen, vous avez raison de dire que nous avons renversé la table par rapport à une Commission européenne qui, effectivement, pendant un certain nombre d’années, considérait que le nucléaire était tabou. Mais en avril dernier, la présidente de la Commission européenne a lancé avec enthousiasme une alliance des petits réacteurs modulaires et expliqué qu’il n’y a point de salut sans nucléaire pour notre lutte contre le dérèglement climatique. Nous avons gagné la bataille !
P. M. : Cette victoire témoigne de votre investissement et de votre courage sur ce sujet-là. Vous avez eu raison. Mais le président de la République a fait plusieurs volte-face sur le sujet. Il y a par ailleurs eu beaucoup trop de désinformation concernant le nucléaire français, pendant bien des années, désinformation qui a été largement entretenue et organisée, notamment par les Allemands. Henri Proglio, l’ancien PDG d’EDF, disait que l’obsession allemande avait abouti à la désintégration d’EDF. Parce que les Allemands, voulant demeurer la première industrie du continent, n’avaient guère envie que la France puisse leur faire de l’ombre avec une électricité bon marché, produite via le nucléaire.
Par conséquent, ils ont financé toutes sortes de fondations, fait du lobbying au Conseil de l’Europe, ont tenté d’agir auprès des partis écologistes français, pour précisément désinformer et influencer l’opinion publique française. Ce qui interroge, vous l’admettrez, quant à la notion de solidarité entre pays européens. Et puisque le nucléaire est la seule énergie qui nous permette de demeurer souverains sur le plan énergétique, cela m’amène aussi à parler du marché de l’électricité. Depuis 1946, EDF vendait son électricité en fonction de ses coûts moyens de production. Les bénéfices étaient réinvestis. Ce modèle était très vertueux. Or, depuis 2007, l’ouverture à la concurrence empêche la France d’offrir à ses compatriotes une électricité bon marché. Nous avons tout intérêt à sortir du marché de l’électricité tout en restant intégrés au mécanisme d’échange européen.
A. P.-R. : Je ne suis pas d’accord. La réforme du marché de l’électricité que nous avons obtenue permet au contraire à la France de bénéficier d’un prix cohérent avec le coût de son nucléaire. Là aussi, c’est une victoire qui permettra aux Français d’avoir des prix de l’électricité bien inférieurs à ceux de nos voisins pendant des années encore.
L’industrie française subit la concurrence chinoise. Deux dossiers en témoignent : la fin programmée du moteur thermique d’ici 2035 et la fermeture de l’entreprise de panneaux photovoltaïques Systovi. Comment l’Europe peut-elle protéger notre industrie ?
A. P.-R. : Il faut que nous soyons les meilleurs. Nous faisons face à une puissance technologique qui avance très vite. La Chine a beaucoup investi dans les panneaux photovoltaïques, comme dans les batteries électriques ; elle a un temps d’avance sur les Européens. C’est la nation qui dépose le plus de brevets. Il est loin le temps des usines ateliers du monde faisant du copier-coller de ce que faisaient brillamment les Européens. Nous devons nous réapproprier des technologies sur lesquelles la Chine est en avance. Il faut prendre le virage dès à présent pour rattraper notre retard. Pourquoi c’est intéressant d’agir en Européens ? Parce que c’est un marché de 450 millions de personnes. Et comment la Chine a bâti un certain nombre de ses forces ? En étant quasiment seule sur son marché domestique de plus d’un milliard d’individus et en y développant ses nouvelles technologies à l’abri de la concurrence.
La libre concurrence n’est pas un problème si tout le monde respecte les règles du jeu. Si ce n’est pas le cas, nous devons agir. Pour la première fois, l’UE a appliqué une nouvelle législation permettant de demander des comptes à des concurrents non européens participant à des appels d’offres publics lorsqu’ils ont bénéficié dans leur pays de soutiens d’État importants. Des entreprises chinoises ont dû se retirer d’un appel d’offres de panneaux photovoltaïques en Roumanie. Sur les batteries électriques, nous sommes partis de zéro. Tout le monde nous disait que c’était impossible, que l’Asie avait 100 % du marché. Aujourd’hui, et c’est grâce à l’Europe, cinq usines sortent de terre ou ont commencé à produire en France.
P. M. : Trop longtemps, la France a commis l’erreur de se mettre sur une compétitivité de prix, notamment avec des pays en développement qui, eux, pouvaient effectivement, sur des normes sociales absolument épouvantables, produire à très bas coûts. L’avenir d’une industrie française performante, c’est sur la compétitivité hors prix, c’est-à-dire sur la qualité. Je pense que nous pouvons légitimement renoncer à être compétitifs dans un marché ouvert, hors protectionnisme, vis-à-vis des Chinois par exemple, sur des paires de chaussures bon marché et produites à je ne sais combien de centimes d’euros, dans des conditions épouvantables. En revanche, nous pouvons être compétitifs si nous fabriquons nos souliers dans le Limousin, avec du cuir de qualité et des entreprises de proximité qui créent de l’emploi, etc. Il faut produire et acheter français pour revenir à la relocalisation des activités productives. Cela passe par une volonté politique et un engagement de l’État.
« L’enjeu est de faire exister la voix des peuples en Europe »
Qu’attendez-vous de la prochaine Commission européenne ?
P. M. : J’attends de l’Europe une alliance entre nations souveraines, observatrice de leurs identités, de leurs cultures nationales, une Europe des peuples qui respecte leur souveraineté. Et pas ce Parlement européen qui ne peut même pas faire la loi – ce qui est quand même assez original pour un Parlement – ni cette démocratie européenne que je trouve bien à la peine. Je crois en revanche qu’il y a une culture française, qu’il y a une civilisation occidentale, et qu’il peut y avoir un certain nombre d’alliances sur un certain nombre de sujets. On ne doit jamais mépriser la souveraineté populaire, comme on l’a fait notamment avec le référendum de 2005. C’est toujours le peuple qui doit avoir le dernier mot ; dire cela, ce n’est pas être populiste ou démagogue.
Ceux qui entendent développer l’Europe sur des bases qui ne seraient pas celles de la souveraineté des peuples créeront l’exact opposé de ce qu’ils souhaitent faire, c’est-à-dire qu’ils créeront le dégoût de l’Europe, ce qui est absolument tragique. Créer le besoin d’Europe, pour paraphraser la candidate Hayer, c’est précisément renouer avec la souveraineté des peuples et en finir avec une Europe qui n’est guère qu’une technostructure lointaine des aspirations populaires. Il ne s’agit pas là d’une vision caricaturale de l’Union européenne, mais bel et bien de dire que cette Union européenne là, telle qu’elle a été construite depuis plusieurs décennies, ne répond pas aux attentes populaires. Le véritable enjeu de ces élections européennes, par-delà les différentes listes, c’est de faire exister de nouveau la voix des peuples en Europe.
A. P.-R. : L’Europe n’est pas qu’un objet économique. C’est un objet politique, un objet de puissance dans lequel les citoyens doivent avoir leur mot à dire. Et pour peser, il faut voter. Ce que j’attends de la prochaine Commission européenne, c’est qu’elle permette aux 27 nations qui composent l’Europe aujourd’hui, et qui n’ont aucunement l’intention de dissoudre leur identité nationale dans l’Europe, de monter en puissance sur des secteurs stratégiques. Le président en a mentionné cinq : l’intelligence artificielle, l’informatique quantique, l’espace, les biotechnologies et l’énergie décarbonée. Une Europe qui nous permette de renforcer notre puissance de défense avec une préférence européenne sur les achats ; une Europe qui n’abandonne pas son ambition écologique mais qui le fait en donnant les moyens aux acteurs économiques de réussir, en investissant massivement dans l’innovation et en accompagnant les transitions.
Face à la Chine, à la Russie, aux États-Unis, aux autres grandes puissances émergentes, nous sommes plus forts ensemble. Je refuse tout discours décliniste, qui serait pour moi une paresse de la pensée. La France couleur sépia n’existe plus. Si nous voulons peser, il faut le faire en utilisant les moyens à notre portée. L’Europe est un de ces moyens. C’est pour cela que nous avons cet agenda extrêmement exigeant. Bien que minoritaires au Parlement européen, les députés Renew ont démontré qu’ils étaient capables d’agir au bénéfice des Français. Le nucléaire en est la preuve.
Cette chronique est reproduite du mieux possible. Si vous désirez apporter des explications sur le sujet « Anciens et étudiant de Panthéon-Sorbonne », vous avez la possibilité de d’échanger avec notre rédaction. Notre plateforme sorbonne-post-scriptum.com vous conseille de lire cet article autour du thème « Anciens et étudiant de Panthéon-Sorbonne ». La fonction de sorbonne-post-scriptum.com est de rassembler sur le web des données sur le sujet de Anciens et étudiant de Panthéon-Sorbonne et les diffuser en répondant du mieux possible aux interrogations des gens. En consultant régulièrement nos pages de blog vous serez au courant des prochaines publications.