Hélène Carrère d’Encausse « se voulait optimiste dans sa manière de penser la Russie

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Hélène Carrère d’Encausse, décédée samedi 5 août à 94 ans, avait publié, depuis une cinquantaine d’années, plus d’une vingtaine d’ouvrages consacrés à la Russie ou à l’URSS, un territoire dont ses parents étaient originaires, du moins sur ses marges, puisque son père était géorgien et sa mère avait aussi du sang allemand.

Le Point a demandé à une autre grande historienne de la Russie, Marie-Pierre Rey, l’autrice notamment de la Russie face à l’Europe, d’Ivan le terrible à Vladimir Poutine, d’évaluer cet apport à cette discipline de la secrétaire perpétuelle de l’Académie française.

Née en 1961, Marie-Pierre Rey l’avait rencontrée en 1981. Hélène Carrère d’Encausse venait d’être élue professeure à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne et elle fut l’une de ses étudiants de maîtrise. « Son séminaire, qui portait sur la politique extérieure soviétique, était lumineux, se souvient-elle, et il m’influença beaucoup dans mes propres recherches. Je lui dois le sujet de ma maîtrise, qui portait sur le pacte franco-soviétique (Laval-Molotov) de 1935, et plus tard le sujet de ma thèse, qui fut consacrée aux relations franco-soviétiques sous de Gaulle et Pompidou. C’est sur ces thématiques de politique extérieure que nous aimions échanger et aussi sur nos travaux en cours et à venir. »

À LIRE AUSSI« J’aurais rêvé de lire, sinon d’écrire la biographie d’Hélène Carrère d’Encausse » Le Point : À la fin des années 1960, quand Hélène Carrère d’Encausse commence à publier des ouvrages sur l’URSS, où en est-on de la connaissance de ce pays auprès du public français ?

Marie-Pierre Rey : L’histoire de l’URSS comptait déjà en France, au milieu des années 1960 et début des années 1970, de très bons spécialistes, tels Marc Ferro, dont La Révolution de 1917 était paru en 1967, Michel Heller, qui avait déjà publié Le Monde concentrationnaire et la littérature soviétique et Alain Besançon, qui se penchera en 1977 sur Les Origines intellectuelles du léninisme.

Mais ces spécialistes étaient encore peu nombreux, peu connus du public français, et cela pour deux raisons essentielles. D’abord parce qu’il était difficile d’être historien d’un pays dont les archives étaient difficilement accessibles, où il était encore rare de se rendre pour y mener des enquêtes de terrain et où la presse officielle constituait la principale source d’information, au point qu’on parlait de « soviétologie », car de fait l’Union soviétique s’étudiait à partir des discours et des textes officiels qu’elle produisait sur elle-même.

Ensuite parce que le débat public français autour de l’URSS, clivé et passionnel, ne laissait que peu d’espace aux analyses distanciées. Il suffit de rappeler les réactions polémiques successivement suscitées par la publication, en français, de l’ouvrage de Victor Kravchenko J’ai choisi la liberté puis du premier tome de L’Archipel du goulag d’Alexandre Soljenitsyne.

À ces difficultés s’en ajoutait une troisième dans le cas d’Hélène Carrère d’Encausse. En décidant de travailler sur l’Asie centrale soviétique – où elle parvint à se rendre dans les années 1960 – et en s’attachant au lien entre islam et Révolution, elle faisait figure de pionnière mais ne se situait pas dans l’air du temps. Cela explique que ses ouvrages Réforme et Révolution chez les musulmans de l’empire russe, Bukhara, 1867-1924, tiré de sa thèse de troisième cycle, puis Le Grand Défi : bolcheviks et nations 1917-1930, issu de sa thèse d’État, tous deux remarquables d’érudition et de rigueur, soient restés à diffusion limitée.

À LIRE AUSSIHélène Carrère d’Encausse, notre tsarineComment résumeriez-vous son approche de l’histoire russe et son apport ? Quelle était sa vision de ce pays ?

C’est en partant des liens entre islam et marxisme, entre tradition et révolution, qu’Hélène Carrère d’Encausse a rencontré la question du politique en URSS et qu’elle en est venue à s’intéresser à la structure et au fonctionnement du pouvoir. Cette approche l’a conduite à une étude ambitieuse, L’Union soviétique de Lénine à Staline : 1917-1953, parue en 1972 puis rééditée sous la forme de deux biographies respectivement consacrées à Lénine et Staline.

Ces ouvrages font la part belle à la question du politique, qui restera omniprésente dans sa réflexion. En témoigne son livre Le Pouvoir confisqué : gouvernants et gouvernés en URSS. En parallèle, Hélène Carrère d’Encausse s’est très tôt intéressée aux questions diplomatiques, mettant en avant, de manière très neuve, la spécificité de la politique extérieure soviétique et son fonctionnement dual, partagé et parfois tiraillé entre Parti et État. Ainsi La Politique soviétique au Moyen-Orient : 1955-1975 ou bien encore l’ouvrage Le Grand Frère, l’Union soviétique et l’Europe soviétisée.

En 1978, L’Empire éclaté fera sa notoriété publique, fort d’une hypothèse audacieuse qui voit, dans le déséquilibre démographique entre républiques d’Asie et d’Europe, la cause de la future disparition de l’Union soviétique. L’hypothèse ne se vérifiera pas puisque c’est bien du centre russe que viendra l’implosion d’un système à bout de souffle, mais le succès ne se démentira plus, conduisant l’historienne à entrer à l’Académie française en 1990.

C’est aussi à ce moment qu’Hélène Carrère d’Encausse se tourne vers l’histoire tsariste, à laquelle elle consacrera biographies – Catherine II, Alexandre II, Nicolas II – et essais thématiques. Enfin, parmi ses dernières publications figure une synthèse abordant la relation franco-russe dans la longue durée. C’est dire la variété et l’ampleur de son œuvre sur le sujet.

À LIRE AUSSIJean-Marie Rouart : « Devant Hélène Carrère d’Encausse on s’inclinait, et on aimait » Vous avait-elle parlé de sa passion pour cette histoire et de la difficulté à embrasser un tel pays ? Qu’avez-vous retenu d’elle à ce propos ?

Hélène Carrère d’Encausse se livrait peu, mais sa passion pour l’histoire de la Russie entendue au sens large irradiait et son amour de ce pays tout autant. Elle comptait d’ailleurs en Russie nombre d’amis et de collègues admirateurs et ses ouvrages y étaient traduits. Nous nous sommes, à plusieurs reprises, croisées dans des colloques ou conférences en Russie, où elle se rendait toujours avec allant, se voulant optimiste dans sa manière de penser la Russie malgré les écueils qu’elle ne mésestimait pas.

S’il fallait lire un ouvrage d’elle sur la Russie, lequel mettriez-vous en avant et pourquoi ? Est-ce votre préféré ?

Le Malheur russe, essai sur le meurtre politique est, à mes yeux, le plus puissant parce qu’il embrasse l’histoire russe dans la longue durée et l’aborde sous un angle original.

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L’œuvre d’Hélène Carrère d’Encausse s’est achevée sur un ouvrage consacré à la révolutionnaire Alexandra Kollontaï. N’est-ce pas un des plus beaux personnages de l’histoire russe ?

L’un des plus beaux mais aussi l’un des plus complexes parce que son destin fait corps avec celui d’un pays, l’URSS alors en train de naître. Kollontaï fut non seulement une intellectuelle, une égérie révolutionnaire mais aussi une femme de pouvoir, successivement membre du commissariat du peuple [équivalent de ministre, NDLR] à l’assistance publique puis diplomate.

Elle contribua à faire avancer la cause des femmes en URSS, mais essuya des échecs tant ses positions en matière de mœurs dérangeaient la vision du couple assez traditionnelle portée par Lénine. Par ailleurs, cette révolutionnaire convaincue se fit aussi stalinienne, sans beaucoup d’états d’âme, acquiesçant à l’usage de la terreur comme arme politique. Autant de facettes qui ne pouvaient que séduire Hélène Carrère d’Encausse.

Sa volonté de faire comprendre la Russie à l’Occident ne l’a-t-elle pas conduite inévitablement à faire preuve d’indulgence envers Poutine avant 2022 ?

Oui, mais comprendre ne signifie pas excuser. Or, dès avant 2022, et encore après, Hélène Carrère d’Encausse a plus d’une fois manqué de clairvoyance et de discernement à l’égard du pouvoir poutinien. Cela étant, malgré son souci d’objectivité, il n’est pas toujours facile à l’historien d’échapper à l’emprise de son sujet.

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