« Il vient pour foutre la merde » : visé par un mandat d’arrêt, pourquoi Poutine n’est-il pas arrêté en Mongolie

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« Il vient pour foutre la merde » : visé par un mandat d’arrêt, pourquoi Poutine n’est-il pas arrêté en Mongolie ?
In this pool photograph distributed by the Russian state agency Sputnik, Russia's President Vladimir Putin and Mongolia's President Ukhnaagiin Khurelsukh hold talks in Ulaanbaatar on September 3, 2024. (Photo by Vyacheslav PROKOFYEV / POOL / AFP)
In this pool photograph distributed by the Russian state agency Sputnik, Russia’s President Vladimir Putin and Mongolia’s President Ukhnaagiin Khurelsukh hold talks in Ulaanbaatar on September 3, 2024. (Photo by Vyacheslav PROKOFYEV / POOL / AFP)
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Visite officielle ou tourisme ?

Par Chloé Sémat

Publié le 03/09/2024 à 19:30

Vladimir Poutine entame ce mardi 3 septembre une visite d’État en Mongolie, un pays membre de la Cour pénale internationale (CPI) censée arrêter le président russe visé par mandat d’arrêt émis contre lui depuis mars 2023. Dépendance énergétique, position enclavée… Oulan-Bator se cantonne à son rôle d’observateur depuis le début du conflit en Ukraine, au risque de susciter la méfiance chez les autres États membres de la CPI.

Les deux hommes s’affichent main dans la main, sourires entendus et regards complices. Le tout en étant entourés des drapeaux de leur pays respectif : la Mongolie et la Russie. Arrivé ce lundi 2 septembre et accueilli par la garde d’honneur à l’aéroport de la capitale Oulan-Bator, Vladimir Poutine a rencontré ce mardi, dans le cadre d’une visite d’État, son homologue mongol, Ukhnaa Khürelsükh, lors d’une fastueuse cérémonie.

Un accueil en grande pompe, alors que le chef du Kremlin aurait en principe dû être arrêté dès son arrivée en Mongolie. Pour cause, Vladimir Poutine est visé depuis mars 2023 par un mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) pour des suspicions de déportation illégale d’enfants ukrainiens vers la Russie. La Mongolie étant membre de la CPI depuis 2002, elle était tenue de procéder à son arrestation, en vertu du Traité de Rome qui a fondé la Cour.

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Rien que la semaine dernière, la CPI a rappelé que ses pays membres ont l’« obligation » d’interpeller les individus visés par un mandat d’arrêt. Il s’agit d’ailleurs, pour le président russe, de son premier voyage dans un pays signataire du Traité de Rome. Jusqu’à présent, il avait pris soin d’éviter ces États, faisant l’impasse sur le sommet des Brics en Afrique du Sud en août 2023, puis sur celui du G20 en Inde en septembre de la même année. En revanche, il n’a jamais hésité à se rendre en Chine, en Corée du Nord ou en Azerbaïdjan – des pays qui n’ont jamais intégré la CPI.

Dépendance vis-à-vis de Moscou

Mais pour la Mongolie, la donne est différente. En témoigne l’assurance du porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov, qui a affirmé qu’il n’y avait « pas d’inquiétude » à ce sujet du côté du Kremlin. « Nous avons un excellent dialogue avec nos amis mongols », a-t-il ajouté, tout en précisant que « tous les aspects de la visite » avaient été « soigneusement préparés ».

Un accord semble ainsi avoir été conclu en amont entre les deux pays. Un revirement de la Mongolie, plus d’un an après l’émission du mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine ? Plutôt un statut quo, alors qu’Oulan-Bator est toujours restée dans « un rôle d’observateur », comme le souligne Gaëlle Lacaze, professeure des Universités à la Sorbonne et anthropologue spécialiste de la Mongolie. Pour rappel, dès le début de l’invasion russe en février 2022, Oulan-Bator a pris soin de s’abstenir lors du vote des résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies condamnant l’agression.

« Le pays est obligé de prendre une position neutre parce que c’est un État enclavé, sans accès à la mer et donc, complètement dépendant de la Russie notamment, avec laquelle il partage 300 kilomètres de frontière. » Avec Pékin, Moscou est en effet l’un des principaux partenaires commerciaux de la Mongolie. Pétrole brut, électricité… 80 % des ressources énergétiques du pays viennent de la Russie.

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Et si, ces dernières années, Oulan-Bator tente d’élaborer une stratégie diplomatique dite du « troisième voisin » en essayant de tisser des liens avec des démocraties, comme les États-Unis ou le Japon, elle ne parvient pas pour autant à se libérer de cette dépendance, vis-à-vis de la Russie comme de la Chine.

De fait, « ils ne peuvent pas se permettre d’avoir des relations tendues avec les Russes. Ce serait suicidaire de se les mettre à dos », constate Michael Levystone, spécialiste de l’Asie centrale et auteur d’Asie centrale, le réveil (Armand Collin, 2024). Par ailleurs, c’est en réalité aux juges mongoles, avec l’appui de l’autorité administrative, de décider d’une arrestation. Problème : « Dans ce pays, l’autorité judiciaire manque d’indépendance », observe Mathilde Philip, enseignante à l’université Lyon 3 et spécialiste du droit pénal international. Autrement dit, le gouvernement décide, les juges appliquent.

« Il vient pour foutre la merde »

Autant de raisons qui expliquent la totale confiance de Vladimir Poutine à son arrivée à Oulan-Bator… mais qui, de l’autre côté, pourraient susciter l’ire des autres membres de la CPI. Le porte-parole du ministère ukrainien des Affaires étrangères a d’ores et déjà accusé la Mongolie d’avoir « permis au criminel inculpé d’échapper à la justice, partageant ainsi la responsabilité de ses crimes de guerre ».

Par la suite, un émissaire de la Cour basée à La Haye a rappelé à l’État d’Asie de l’Est son « obligation de coopérer ». Si rien n’est fait, la CPI peut saisir l’Assemblée des États parties pour décider d’éventuelles sanctions… mais ces dernières se limiteront sans doute à quelques remontrances verbales.

Pour rappel, aucune sanction n’avait été prise à l’encontre de l’Afrique du Sud, lorsqu’elle avait refusé d’exécuter un mandat d’arrêt en 2017. Ce dernier visait l’ancien président soudanais, Omar el-Béchir, poursuivi pour génocide. De fait, « il n’y a pas de précédent en la matière », note Mathilde Philip, alors que le mandat émis contre Vladimir n’est que le deuxième dans l’histoire de la CPI. « Mais le risque, alors que la Mongolie s’est engagée volontaire dans le Traité de Rome, c’est qu’elle passe pour un pays peu fiable et perde la confiance des autres États membres. »

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Et c’est bien là tout l’enjeu pour la Russie de Vladimir Poutine. Officiellement, le chef du Kremlin vient participer aux célébrations du 85e anniversaire de la victoire soviétique lors de la bataille de Khalkhin-Gol, de mai à septembre 1939, au cours de laquelle Russes et Mongols ont repoussé une offensive japonaise dans l’est de la Mongolie. Mais dans les faits, avec cette visite d’État, le président russe entend faire un pied de nez à la CPI mais également aux pays occidentaux, qui le voient comme un véritable paria sur la scène internationale.

« Il n’en a rien à faire de la Mongolie, il vient pour foutre la merde, insiste Gaëlle Lacaze. Il veut montrer à l’Occident que personne ne l’empêchera d’envahir l’Ukraine. » Dans le même temps, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a annoncé ce mardi 3 septembre qu’une frappe russe sur la ville de Poltava, au centre du pays, avait fait au moins 49 morts et plus de 200 blessés. Il s’agit de l’une des attaques les plus meurtrières depuis le début du conflit. L’occasion, pour Vladimir Poutine, de donner une nouvelle fois le ton.

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