La piscine, ultime lieu de reconquête pour les femmes grosses

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, La piscine, ultime lieu de reconquête pour les femmes grosses

« J’adore l’eau, j’adore nager. Je pense que nous sommes nombreux.ses à nous priver de ces moments », se désole Géraldine, qui « admire et envie » celles qui y arrivent. 

Il n’est pas toujours facile pour les femmes grosses de se montrer en maillot de bain et de se rendre dans une piscine avec insouciance. « Vraiment. Ce n’est pas facile du tout », ajoute Pauline, « mais je veux donner le bon exemple à ma fille pour ne pas la bourrer de complexes, donc j’ai décidé que rien ne gâcherait mon été, surtout pas mon ventre. »

Victoire lutte contre le réflexe de se comparer à sa famille. « Dans ce cas, je pose mes affaires, je me déshabille et je cours dans l’eau avant de trop réfléchir. Je cherche du regard les personnes au corps ressemblant au mien, pour me sentir moins seule. Mon plaisir d’être dans l’eau me permet de supporter énormément de choses. »  

Lassées de se priver de ces lieux avant tout synonyme d’amusement, les personnes grosses réinvestissent peu à peu la piscine, aidées par la force de représentations ô combien importantes.

Une quête de réappropriation du corps et de l’espace public  

La peur du regard des autres et l’appréhension d’éventuelles agressions, sont « des freins psychosociologiques » observés par Solenne Carof, maîtresse de conférences en sociologie à Sorbonne Université et autrice de Grossophobie (Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2021), qui constituent « une forme d’autocensure empêchant de se mettre en maillot de bain ou d’aller à la plage ou à la piscine ». Même sans avoir vécu de violences grossophobes, « les injonctions permanentes de la société et des médias à ‘être mince’ pour l’été (le fameux ‘summer body’) conduisent les personnes grosses – en général les femmes, surtout les plus jeunes – à s’autocensurer ».

Vidéo du jour

Pour d’autres, les choses se passent plus simplement. « Il y a une grande culture de la baignade ici en Suisse qui aide beaucoup », explique Noémi, qui vit au bord du lac Léman. « Il y a des corps de toutes les tailles, couleurs, tous les âges, handicaps, etc. Donc mon gras, il n’y a que moi qui le vois. » Même constat pour Mathilde, habitant en Allemagne, « un pays où se baigner est culturellement important, qu’importe l’âge et la morphologie ». Une tranquillité qu’elle n’a jamais connue en France.

Normaliser tous les corps dans le regard d’autrui

C’est aussi dans un autre pays qu’Anne a eu le déclic : « un voyage au Canada, où j’ai vu des femmes grosses se baigner librement sans que ça choque personne ». Les espaces naturistes lui ont également permis de prendre confiance car « les corps les plus différents se côtoient sans que ce soit un problème ».

Depuis elle confronte les personnes se moquant d’elle, raconte Koulma, sa femme. Cette dernière ne répond qu’aux enfants, avec pédagogie : « il faut le prendre pour de la curiosité, l’important, c’est surtout la réaction des parents. J’essaie de normaliser mon corps dans leur champ de vision ».

La plénitude qui émane de ces moments aquatiques, par contraste avec des souvenirs d’adolescence ou des situations douloureuses.

« Il n’y a plus jamais un seul connard sur Terre qui m’empêchera de me baigner », déclare face caméra Gabrielle Deydier dans On achève bien les gros, le documentaire adapté de son essai On ne naît pas grosse (La Goutte d’or, 2017). Et pas dans n’importe quel décor : la piscine de la Butte aux Cailles à Paris, dans laquelle l’autrice flotte paisiblement.

Anne-Sophie Gomez, enseignante-chercheuse en sociopoétique à l’Université Clermont Auvergne, souligne dans un article de son carnet de recherches Aquacult « la plénitude qui émane de ces moments aquatiques, par contraste avec des souvenirs d’adolescence ou des situations douloureuses ». Elle poursuit dans un mail que ces scènes sont « une réappropriation de son corps et de son agentivité, dans un espace public soumis aux regards ».

« Je veux voir des cuisses. Et des ventres »

« Voir 50 femmes danser en bikini, sans complexe ? Ce n’est pas quelque chose qu’on voit tous les jours », se rappelle Aidy Bryant pour Vulture.

La co-créatrice de la série Shrill et interprète du personnage principal, la journaliste Annie Easton, reste émue par l’épisode « Piscine », diffusé en mars 2019. Il montre une « Fat Babe Pool Party » – un moment convivial autour d’une piscine réservé aux femmes grosses. Après un temps d’observation Annie décide de vivre pleinement son reportage, entourée de toutes ces femmes, avant de mettre en maillot et de se baigner.

Aidy Bryant raconte à Refinery 29 son souhait de mettre en scène l’énergie des femmes grosses décomplexées vues sur des blogs et sur Tumblr, et toute une variété de corps. « Je veux voir des cuisses. Et des ventres. N’ayons pas peur de vraiment montrer les corps de ces femmes », indique-t-elle pour la scène de danse – les parties les moins valorisées chez les femmes grosses.

Une scène devenue culte pour de nombreuses femmes grosses qui se sont enfin vues avec fierté sur le petit écran.

Des événements festifs qui ont plus de 50 ans

L’autrice et militante Lesley Kinzel explique dans le HuffPost que les premières pool parties pour personnes grosses sont organisées aux États-Unis par la National Association to Advance Fat Acceptance (NAAFA), créée en 1969, dans le cadre de leur conférence annuelle.

« Ces réunions sont l’occasion de grandes soirées costumées, d’après-midi zéro complexe autour de la piscine et de speed datings endiablés », écrivent Daria Marx et Eva Perez-Bello dans Gros n’est pas un gros mot (Folio, 2018). Internet aide à faire connaître cette pratique durant les années 2000. De plus en plus d’événements sont organisés aux États-Unis, comme la très classe Golden Confidence Pool Party par l’entrepreneuse Essie Golden.

@pretty_crabby I miss Shrill. I loved that show. I’m so glad it exists and i can revisit that world. ???? #aidybryant #shrill #tvshow #hulu #dance #bodypositivity #happy ? original sound – E M I L Y ???

En France, c’est l’association Allegro Fortissimo, créée en 1989 par l’actrice, mannequin et militante Anne Zamberlan sur le modèle de la NAAFA, qui fait se rencontrer et se baigner des personnes grosses. France Inter a suivi en 2017 un cours d’aquagym en non-mixité, lancé en 2012 (la page Facebook de l’association n’est plus mise à jour depuis 2019, ndlr).

La photographie de William Klein « Le club Allegro Fortissimo » au hammam de Paris (1990) est sans doute la plus belle archive de cette association historique : sept femmes grosses en maillot de bain, dont Anne Zamberlan, posent le regard droit dans l’objectif de l’artiste, l’attitude à la fois lascive et combative.

Les pool parties pour personnes grosses, des safe places salutaires

Des femmes grosses ont même eu droit à leur pool party glamour à l’américaine grâce à Gaëlle Prudencio – trois éditions pour le moment depuis 2021. « Le seul critère est que l’événement soit 100 % féminin et que tout le monde soit à l’aise avec soi-même et les autres, sans compétition ni jugement », explique l’entrepreneuse. 

« Il n’y a pas de critère de taille, je ne veux invisibiliser personne, c’est déjà ce que les personnes grosses subissent au quotidien. » Elle a toujours été à l’aise en maillot de bain, jusqu’à une expérience de harcèlement sur une plage avec sa cousine dans sa jeunesse. « Ils voulaient me toucher, ils rigolaient sur notre passage. J’ai crié, et après, je n’étais plus très à l’aise pour y retourner. »

Ça m’a donné l’impulsion de retourner à la plage, porter un joli maillot, faire des photos et les poster sur mon blog. C’était vraiment thérapeutique.

Elle découvre les blogueuses grande taille américaines. « Ça m’a donné l’impulsion de retourner à la plage, porter un joli maillot, faire des photos et les poster sur mon blog. C’était vraiment thérapeutique. » Elle a ensuite l’idée d’organiser des pool parties « avec des super cocktails et une belle piscine ».

« Les représentations médiatiques des personnes grosses ont progressé, mais il y a encore beaucoup de chemin à faire », estime de son côté Dimitra Laurence Larochelle, maîtresse de conférences en sociologie des médias à l’Université Sorbonne-Nouvelle.

« Il y a aussi des portraits un peu plus intersectionnels des différentes expériences de la grosseur, et c’est important » dans la vie quotidienne. Anne et Koulma abondent : « Pensez à l’exemple que vous donnez aux autres femmes grosses quand elles vous admireront dans l’eau. Vous devenez une représentation heureuse, nous en manquons terriblement ».

Chaque sortie à la piscine (ou à la plage) compte !

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