La Sorbonne, tigre de papier

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La faculté de théologie de Paris, appelée Sorbonne – du nom du collège fondé vers 1254 par Robert de Sorbon (1201-1274) pour héberger les étudiants en théologie et leur fournir un lieu d’étude –, passe pour avoir joué un rôle majeur dans la censure des livres sous l’Ancien Régime. Si l’idée n’est pas complètement fausse, elle doit cependant être sérieusement nuancée.

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L’université, dont l’acte fondateur n’est pas clairement identifié, se constitue entre 1200 et 1215 à partir d’écoles créées au siècle précédent autour de la montagne Sainte-Geneviève, et dont Abélard fut un des maîtres les plus réputés. Dès 1200, le roi Philippe Auguste accorde aux élèves des écoles et à leurs maîtres de ne relever que de la justice ecclésiastique. Ceux-ci constituent progressivement une corporation – universitas, d’où le nom d’université qui lui est donné –, dont le cardinal Robert de Courson (1160-1218), légat du pape, reconnaît l’organisation des études et qu’il autorise à se doter de ses propres règles de fonctionnement. La papauté souhaite en effet faire de Paris le principal centre de production doctrinale de la chrétienté, comme le confirme une bulle pontificale de 1231. N’est-ce pas là que s’élabore et se transmet alors le savoir théologique le plus pointu ? Rome reconnaît donc une valeur universelle aux diplômes parisiens.

Autocensure

L’Université de Paris, dont les disciplines les plus réputées sont la théologie et la philosophie, qui couronnent le cursus, ne joue alors qu’un rôle limité dans la censure de la pensée. Ainsi, quand des exemplaires du Talmud sont brûlés sur la place publique en 1240, c’est à l’initiative du pouvoir royal, très hostile à la religion juive, et non de la faculté de théologie, qui se contente d’approuver une décision qu’elle n’a pas prise. De même, le 7 mars 1277, c’est une commission réunie par l’évêque de Paris, Étienne Tempier (1210-1279), pour étudier la littérature suspecte circulant à la faculté des arts qui condamne 219 thèses jugées hétérodoxes parce que trop fidèles à la pensée du Grec Aristote (384 -322 av. J.-C.) et de son commentateur arabe Averroès (1126-1198). L’Université de Paris doit marcher dans les pas que lui dicte l’Église.

Lors du concile de Paris de 1290, le légat du pape remet ainsi vertement à leur place les universitaires parisiens qui contestaient aux religieux mendiants – franciscains et dominicains – le privilège de prêcher sans autorisation que leur avait accordé une bulle pontificale de 1281 : « Tous ces maîtres s’imaginent qu’ils ont auprès de nous une immense réputation de savants ; nous les jugeons, au contraire, sots entre les sots, eux qui ont infecté du poison de leurs doctrines et leurs propres personnes et le monde entier. […] Nous n’avons pas été appelés par Dieu pour acquérir la science ou briller aux regards des hommes, mais pour sauver nos âmes. » De fait, si la Sorbonne surveille pensées et écrits, c’est essentiellement en interne, ce qui ne se traduit pas tant par des condamnations que par une autocensure de ses membres soumis au contrôle permanent de leurs pairs.

Mises à l’Index

À la Renaissance, l’invention de l’imprimerie change complètement les données du problème. Il ne s’agit plus de contrôler quelques rares écrits mais de faire face à la marée montante de textes divers, et notamment ceux inspirés par la Réforme protestante, que l’Église, l’université et le pouvoir royal ne veulent pas voir se propager. En 1521, la doctrine de Luther est ainsi condamnée par la Sorbonne. La même année, le parlement de Paris – et non pas le roi, comme on le croit parfois, à tort, même si la décision est prise en son nom – interdit l’impression ou la diffusion de tout livre traitant de la religion et de l’Écriture sainte sans le jugement des délégués de la faculté de théologie de Paris. En 1533, la Sorbonne s’inquiète à un point tel de la propagation des idées nouvelles qu’elle propose à François Ier d’interdire l’impression de tout livre en France, ce que le roi fait en janvier 1534 – sous peine de mort ! – avant de revenir sur sa décision un mois plus tard.

Jusqu’aux années 1540, les condamnations ne sont qu’occasionnelles et plutôt rares – un ouvrage imprimé en français par an en moyenne –, puis la Sorbonne se met à dresser des listes de proscription, les fameux Index, dont le premier, qui demeure manuscrit, date de 1543. Une nouvelle version du catalogue des livres interdits est publiée en 1544, Rome n’édictant de son côté son premier Index qu’en 1559. À partir des condamnations prononcées au début des années 1520, la faculté de théologie de Paris arrive à une liste de 230 ouvrages. L’Index est régulièrement complété par la suite pour compter 528 entrées lors de sa dernière édition en 1556, 278 en latin et 250 en français. Les ouvrages d’Érasme, dont les Colloques, sont condamnés en 1526, de Luther et de Calvin (1509-1564) y figurent en bonne position. Le Parlement demande en effet dès 1542 à la Sorbonne de contrôler les livres en provenance de l’étranger comme l’Institution de la religion chrétienne, de Calvin, ouvrage aussitôt condamné.

Vindicte

L’autorité de la Sorbonne est cependant purement théorique. L’université donne un avis théologique sur des œuvres suspectes, mais, pour passer à l’interdiction effective des ouvrages en question, il faut l’intervention d’une cour de justice. L’Index de 1544 n’a aucune valeur légale avant que le parlement de Paris ne la lui donne par un arrêt du 23 juin 1545 (cf. encadré 1). Dans le même esprit, l’édit royal de Châteaubriant (1551) systématise des mesures antérieures comme la nécessité d’obtenir une autorisation avant de publier tout ouvrage. L’impression, la vente ou même la détention d’ouvrages interdits est punie de mort et impose à chaque libraire de détenir un exemplaire de l’Index.

En fait, c’est le pouvoir royal et lui seul qui tranche, comme l’illustre bien une affaire survenue en 1533. Cette année-là, la Sorbonne condamne un poème anonyme d’esprit évangélique, Le Miroir de l’âme pécheresse, qui se révèle être l’œuvre de Marguerite de Navarre (1492-1549), sœur de François Ier. Sur ordre du roi, la censure est aussitôt annulée ! Bien que condamnés, les ouvrages de Rabelais (1494-1553) n’en continuent pas moins d’être imprimés et vendus en France. Cependant, si les théologiens parisiens ne bénéficient d’aucun moyen de contrôle effectif ni de l’autorité pour faire respecter leurs décisions, ils peuvent poursuivre de leur vindicte ceux qu’ils suspectent d’adhérer aux idées nouvelles. Robert Estienne (1503-1559), pourtant imprimeur du roi pour le latin et le grec, en sait quelque chose : lassé des tracasseries de la Sorbonne, il quitte Paris en 1551, s’installe à Genève et y publie l’année suivante un pamphlet : Les Censures des théologiens de Paris

Face aux jansénistes

Les guerres de Religion (1562-1598) portent un rude coup à la Sorbonne. Abandonnée par les étudiants étrangers, elle n’est plus que l’ombre d’elle-même au point qu’Henri IV lui fait adopter en 1600 de nouveaux statuts marquant la soumission des professeurs au pouvoir et à l’Église de France, à qui ils doivent prêter serment de fidélité. En 1624, le pouvoir royal réduit encore son autonomie en nommant quatre docteurs chargés d’examiner les ouvrages de théologie jusqu’à ce que, en 1629, le chancelier de l’université soit chargé de choisir les censeurs.

Au XVIIe siècle, c’est essentiellement contre le jansénisme que va se déchaîner la Sorbonne. Le jansénisme tire son nom de Cornulius Jansen (1585-1638), évêque d’Ypres et auteur d’un ouvrage consacré à saint Augustin (354-430), l’Augustinus, publié à titre posthume en 1640. Jansen est convaincu, comme Augustin, que l’homme n’est rien sans la grâce de Dieu, d’où son livre qui se veut de la plus grande orthodoxie. La Sorbonne en juge pourtant autrement. En juillet 1649, son syndic demande l’examen de sept propositions qu’il estime non orthodoxes, et dont cinq qui sont attribuées à l’évêque d’Ypres sont finalement condamnées par une bulle pontificale en mai 1653. Quand le théologien Antoine Arnaud (1612-1694) démontre que ces propositions ne figurent pas dans l’Augustinus, il est exclu de la faculté de théologie de Paris en 1655 : c’est là l’origine des Provinciales (1657), que Blaise Pascal écrit pour défendre son ami.

Amabilités

Mais, dans les faits, la Sorbonne se montre incapable d’étouffer la production d’ouvrages favorables à ceux que leurs ennemis ont surnommés les « jansénistes ». Que peut-elle faire, en effet, quand ceux-ci bénéficient de la protection bienveillante du parlement de Paris ? Au siècle suivant, la Sorbonne ne fait plus peur à personne. Si l’Émile (1762), de Jean-Jacques Rousseau, est brûlé sur la place publique en 1762, ce n’est pas parce qu’il est rejeté par la Sorbonne mais parce que le Parlement en a décidé ainsi. La plupart du temps, la censure de la faculté de théologie s’exerce entre gens de bonne compagnie qui font assaut d’amabilité. C’est ainsi avec obséquiosité que le syndic de la Sorbonne s’adresse au comte de Buffon (1707-1788) en 1751 pour lui faire part de ses remarques sur son Histoire naturelle (cf. encadré 2). Celui-ci accepte aussitôt d’amender son ouvrage en précisant qu’il n’avait jamais eu l’intention de contredire le texte de l’Écriture ! La seule censure qui compte désormais relève des autorités politiques et religieuses.

Alors, un monstre, cette Sorbonne, régnant en maîtresse tyrannique sur la production intellectuelle de l’Ancien Régime ? Si l’on excepte le XVIe siècle, ce fut plutôt un tigre de papier, bien moins efficace que l’autocensure qui sévit aujourd’hui dans nos universités !

La lutte contre les protestants

Arrêt du parlement de Paris, émis le 23 juin 1544, donnant valeur légale à l’interdiction d’ouvrages par la Sorbonne pour freiner la propagation des idées nouvelles, notamment celles issues de la Réforme.

Sur la Requeste présentée a la cour de ceans, de la part de l’Inquisiteur de la foy, et pour les causes contenues en icelle : Après avoir ouy sur ce le procureur general du Roy, ce requerant, Et pour obvier, extirper et abolir la secte Lutherine, causes et moiens, par lesquelles elle peut prendre racine, et avoir cours en ce Royaume, Ladite cour a ordonné et ordonne, que inhibitions et deffenses seront faites, a son de trompe, et cry public, par les carrefours de ceste ville de Paris, et ailleurs ou il appartiendra, dedans le ressort d’icelle : A tous Imprimeurs, Libraires, et autres, d’imprimer, et exposer en vente doresnavant les livres, traictez, ou escrits, contenus, et mentionnez au cathalogue de livres censurez par la Faculté de Theologie, en l’Université de Paris :

Et a toutes autres personnes, de les avoir, tenir, et réserver par devers eux et en leur possession, Et ce, sur peine de punition corporelle, et telles autres peines que de droict. Et, ou trois jours après la publication de ceste presente, il se trouveroit aucun, saisi desdicts livres, seront iceux livres prins, et apportez au greffe de la dite cour, Et ceux qui les auront retenus, amenez prisonniers es prison de la Conciergerie du Palais, et procédé alencontre d’eux comme de raison.

In Société de l’histoire du protestantisme français, Bulletin historique et littéraire, tome XXXIV, 1885.

L’Histoire naturelle, de Buffon ? Censurée !

Lettre de la faculté de théologie de Paris à Buffon, qui accepte de modifier les points litigieux de son œuvre fondatrice.

15 janvier 1751

MONSIEUR

Nous avons été informés, par un d’entre nous de votre part, que lorsque vous avez appris que l’Histoire Naturelle, dont vous êtes auteur, était un des ouvrages qui ont été choisis par ordre de la Faculté de Théologie pour être examinés et censurés, comme renfermant des principes et des maximes qui ne sont pas conformes à ceux de la Religion, vous lui avez déclaré que vous n’aviez pas eu intention de vous en écarter, et que vous étiez disposé à satisfaire la Faculté sur chacun des articles qu’elle trouverait répréhensibles dans votre dit ouvrage ; nous ne pouvons, Monsieur, donner trop d’éloges à une résolution aussi chrétienne, et pour vous mettre en état de l’exécuter, nous vous envoyons les propositions extraites de votre livre, qui nous ont paru contraires à la croyance de l’Église.

Nous avons l’honneur d’être, avec une parfaite considération, MONSIEUR, Vos très-humbles et très-obéissants serviteurs,

Les Députés et Syndic de la Faculté de Théologie de Paris

In Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, Histoire naturelle, générale et particulière, tome IV, 1756.

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