Au printemps 2018, la gauche estudiantine proteste contre la sélection à l’université et bloque la Sorbonne. Le 10 mai, une dizaine de militants masqués débarque pour « débloquer » la faculté. Les gros bras de la Cocarde étudiante, syndicat d’extrême droite, font pleuvoir les coups. Un étudiant au moins va terminer à l’hôpital victime de plusieurs fractures au visage. D’autres, six ans après, se souviennent des menaces de mort et de viol proférées par les assaillants.
Quelques minutes plus tard, le petit groupe pose tout sourire autour d’une banderole retournée, volée au cours de l’escarmouche. Au centre de la photo, partagée ensuite sur les réseaux sociaux, Pierre-Roman Thionnet, 24 ans à l’époque et figure montante de l’extrême droite. Cette année-là, l’étudiant en histoire militaire s’apprête à devenir secrétaire général de la Cocarde. Le début d’une ascension éclaire, dans l’ombre de Jordan Bardella qu’il suit depuis 2018 : collaborateur parlementaire du président du Rassemblement national de 2019 à 2022, puis président du RNJ et qui devrait enfin être élu député européen en juin, vu sa 23e place sur la liste.
En mai 2018, une dizaine de militants masqués attaquent la Sorbonne. Un étudiant termine à l’hôpital avec plusieurs fractures au visage. Les assaillants posent autour d’une banderole retournée, volée au cours de l’escarmouche façon ultras de foot. Pierre-Romain Thionnet (deuxième à gauche) assume : « J’étais là. » / Crédits : DR
Pierre-Romain Thionnet est désormais un homme respectable. C’est vêtu d’un costume élégant à petits carreaux qu’il se présente à notre rendez-vous. Et quand nous revenons sur les événements de la Sorbonne, il ne semble pas décontenancé. « J’étais là », assume-t-il. « Mais mon groupe n’a pas participé aux violences. » Dans ce café du 12e arrondissement, il déroule son storytelling. L’histoire d’un gamin jurassien qui a d’abord rêvé de faire carrière dans le biathlon avant de s’imaginer glissant ses pas dans ceux de son idole, le général de Gaulle. Issu d’une famille « où l’on parle politique pendant les repas » mais où « il n’y a pas de tradition militante », il a voté Dupont-Aignan aux présidentielles de 2012.
Il monte sur Paris
C’est indirectement par ce dernier qu’il va rejoindre le syndicat d’extrême droite, La Cocarde. « Dans un amphithéâtre, quelqu’un me dit qu’une conférence de Nicolas Dupont-Aignan doit bientôt avoir lieu », se souvient Thionnet. Le voilà embarqué : « J’ai pris un verre avec les militants, je suis allé à cette conférence, avant de devenir un militant très actif. » Nous sommes à la rentrée universitaire 2015. Celui qui a abandonné sa pratique intensive du biathlon pour poursuivre son cursus en histoire fait partie des premiers militants de la nouvelle organisation, scission du principal syndicat estudiantin de droite, l’Uni. Et il monte rapidement en grade. « Je prends de manière officieuse le rôle de secrétaire général dans ces années-là », poursuit-il en buvant son café allongé, un peu mal à l’aise. Étudiant cultivé, il se charge de la doctrine, de la rédaction de communiqués et de la propagande numérique du syndicat. C’est à cette époque qu’il se lie d’amitié avec Luc Lahalle. Le binôme est inséparable, sur les bancs de la fac, puis dans les couloirs du RN.
Sous leur houlette, la Cocarde s’éloigne progressivement de la ligne souverainiste pour épouser les thèses identitaires. Dans « L’extrême droite nouvelle génération » (Denoël), les journalistes Nicolas Massol et Marylou Magal expliquent qu’aux nouveaux arrivants, Lahalle et Thionnet conseillent les ouvrages d’auteurs ethno-différentialistes, issus de la Nouvelle Droite, comme Guillaume Faye ou Dominique Venner. Avec le secrétariat de Thionnet, la Cocarde s’approprie même la théorie complotiste et raciste du grand remplacement, marqueur final de son basculement identitaire.
Sous la direction de Thionnet, la Cocarde s’éloigne progressivement de la ligne souverainiste pour épouser les thèses identitaires, à la manière du Rassemblement national. / Crédits : Corentin Fohlen
Le basculement radical
Ce virage radical n’est pas qu’idéologique. C’est sous l’impulsion du même tandem Thionnet-Lahalle que le syndicat étudiant va se tourner vers la violence. Il recrute parmi les mécontents des blocages du mouvement du printemps 2018, et une bonne partie d’entre eux ne rechigne pas quand il s’agit de faire de la politique avec les poings. Sur la photo du violent déblocage de mai 2018, Pierre-Romain Thionnet est entouré de ses copains de l’époque qui comme lui militent à la Cocarde. À sa gauche, Tim Frey, qui deviendra responsable Île-de-France du syndicat d’extrême droite et rejoindra le groupuscule néofasciste parisien Luminis. À sa droite, Marie-Émilie Euphrasie, qui cofondera le collectif fémonationaliste Némésis, et sera candidate RN aux législatives de 2022. Ils font partie de la « génération 2018 » de la Cocarde étudiante, trait d’union entre le parti lepéniste et les groupuscules radicaux. À Paris, on trouve des militants qui ont depuis glissé dans les rangs du Gud, de Génération identitaire et d’Académia Christiana. La section lyonnaise n’est pas en reste. Elle compte dans ses rangs Sinisha Milinov, qui s’active chez Génération identitaire et a été sur une liste RN pour les municipales de 2020. Il est depuis passé par la case prison pour avoir participé à une violente agression raciste au couteau.
Thionnet fait partie de la « génération 2018 » de la Cocarde étudiante, trait d’union entre le parti lepéniste et les groupuscules radicaux. Il côtoie des militants très violent comme Sinisha Milinov (tout à gauche sur la photo de droite). Il s’affiche aussi en t-shirt Reliqua, une marque très appréciée de l’extrême droite radicale. / Crédits : DR
Bardella est ravi des fiches concoctées par Thionnet, qui le suit sans jamais s’accaparer les projecteurs. Le presque trentenaire a été récompensé avec une place éligible aux élections européennes. / Crédits : Corentin Fohlen
En 2022, Thionnet et Lahalle quittent leurs fonctions au sein de la Cocarde. Ils confient le bébé à Vianney Vonderscher avec qui, au fil des années, ils ont tissé des liens étroits. Ce dernier fricote encore plus avec des radicaux. En 2021, il participe au service d’ordre de Némésis lors d’une altercation violente en marge de la marche Nous toutes. Puis à l’automne 2023, il a, selon plusieurs témoins, été aperçu à une conférence du groupuscule néofasciste parisien Luminis. Mais quand on évoque ces fréquentations, Thionnet les balaye d’un revers de main et défend son ami : « J’affirme qu’il n’a jamais participé à cette conférence. Je suis même sûr à 100% qu’il n’y a aucune preuve de ça. » Sur Némésis, plus difficile de nier, étant donné le nombre de vidéos de son ami aux côtés d’autres camarades de la Cocarde et des militantes de Némésis. Mais ce n’est pas un souci pour Thionnet : « Il a participé à la manifestation. Ils ont accompagné Némésis pour effectuer leur action, et ce sont elles qui ont été attaquées. »
Décidément, Thionnet a réponse à tout. Quand on évoque la vidéo, montrant ses deux grands amis Luc Lahalle et Vianney Vonderscher s’amusant de saluts fascistes et de chants anticommunistes lors d’un déplacement de la Cocarde à Turin, révélée en novembre dernier par StreetPress, il prend leur défense. Ses deux comparses « n’ont pas cautionné ça, comme le parti n’aurait pas su cautionner ça non plus », ajoutant « qu’il n’y avait pas de question là-dessus ». Sauf qu’on distingue clairement sur la vidéo, en t-shirt floqué Sorbonne Université, Julien Krawiec, militant de longue date de la Cocarde en train d’effectuer lui-même un salut nazi.
Vianney Vonderscher, assistant parlementaire de l’eurodéputé
JPGarraud</a> et Luc Lahalle, assistant parlementaire de l'eurodéputé <a href="https://twitter.com/GrisetCatherine?ref_src=twsrc%5Etfw">
GrisetCatherine s’amusent des saluts nazis de leurs camarades italiens. LeRNational_off</a> a-t-il réellement rompu avec la radicalité ? <a href="https://t.co/BqekR3eF1d">pic.twitter.com/BqekR3eF1d</a></p>— Mathieu Molard (
MatMolard) November 30, 2023
Les soirées parisiennes
La radicalité qu’affiche la Cocarde ne va pas empêcher l’ascension de Pierre-Romain Thionnet dans le sillage de Jordan Bardella. Les deux hommes se sont rencontrés avant les élections européennes de 2019, quand la tête de liste compose son équipe. Impressionné par son esprit de synthèse et sa formation idéologique bossée à la Cocarde, Bardella lui propose le poste d’attaché parlementaire. Le futur patron du RN est ravi des fiches concoctées par Thionnet, qui le suit sans jamais s’accaparer les projecteurs. « C’est quelqu’un de discret », dit un proche des médias d’extrême droite. « Bardella le pousse à faire des plateaux et il ne veut pas, c’est un mec de l’ombre », ajoute un autre. « C’est un politicien, pas un politicard », tempère un journaliste d’un grand quotidien.
Thionnet présente aussi la jeunesse de droite parisienne à Bardella. Ses années comme secrétaire général de la Cocarde lui ont permis de fréquenter toute une mouvance politique, qui va de la droite dure à l’extrême droite très radicale. Comme l’ont révélé les journalistes Nicolas Massol et Marylou Magal, Thionnet peut faire des soirées poker avec le patron des Jeunes LR Guilhem Carayon chez Sarah Knafo, la conseillère d’Eric Zemmour. Ou aller à une soirée dans le même taxi qu’Aurélien Verhassel, très radical patron des identitaires à Lille. Dans les caves parisiennes reconverties en bars huppés, Bardella suit son lieutenant qui le guide dans ces soirées. Sur un cliché de juin 2019, les deux hommes s’affichent aux côtés de futurs militants des groupes néofascistes Luminis ou Auctorum.
Bardella suit son lieutenant qui le guide dans ces soirées. Sur ce cliché de juin 2019, les deux hommes s’affichent aux côtés de futurs militants des groupes néofascistes Luminis ou Auctorum. / Crédits : DR
Pas de radicaux au RNJ ?
Au RNJ, Pierre-Romain Thionnet a continué cette tradition d’afterworks de cohésion qu’il avait initié à la Cocarde. C’est toujours le Jurassien qui accueille les petits nouveaux qui poussent la porte des bars du 6e arrondissement. « C’est le gestionnaire des soirées », assure Max (1), un ancien militant RNJ. Ce vingtenaire se souvient de sa première venue, où il s’est senti « comme un étranger ». Dans la salle, les militants qui « se connaissent tous » le dévisagent. Mais l’animosité apparente s’efface dès que Thionnet vient le saluer. Ce dernier est désormais un ponte du parti depuis que Bardella l’a nommé directeur du RNJ en novembre 2022. L’organisation de jeunes remplace Génération nation, mouvement quasiment inexistant dans le paysage politique d’extrême droite depuis des années. Après les législatives de 2022, le RN a besoin de forces vives, et de petites mains pour occuper le terrain.
Face à tous ses liens avec les radicaux, côtoyés ou présents aux forums RNJ, Thionnet assure comme ses aînés du FN : plus jamais ! / Crédits : Corentin Fohlen
Le nouveau boss a le réseau nécessaire pour fournir les premiers militants et les cadres piochés dans ses cercles plus ou moins proches. Pour dynamiser ce nouvel organe, Pierre-Romain Thionnet organise régulièrement au siège du parti à Paris des forums RNJ, qui servent de formation et de sas d’entrée au mouvement de jeunesse. Seule condition d’accueil : fournir sa carte d’identité. Là encore, les radicaux se glissent à ces conférences animées par le Jurassien comme le militant violent Aloys Vojinovic, membre du groupe néonazi dissous par le gouvernement Zouaves Paris, ou l’ancien cadre de Génération identitaire Eyquem Pons.
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À Marseille, c’est le militant du groupe néofasciste Tenesoun Raphaël Ayma qui s’est incrusté à une édition du forum. Un radical homophobe : StreetPress a révélé en janvier comment il avait brûlé un drapeau LGBT+ en Espagne. Lui aussi connaît Pierre-Romain Thionnet : les deux hommes ont tracté ensemble au marché Convention en mai 2023. Et Libé a aussi révélé la présence d’un ex-Cocardier désormais proche du Gud, Martin D., aux côtés de Thionnet dans un banquet du RN au Cap d’Agde à l’été 2023. Mais le patron du RNJ l’assure, tous ces faits ne se reproduiront plus ! Le Zouave Aloys Vojinovic aurait été informé qu’il n’était plus le bienvenu aux forums RNJ. Ayma, lui, n’était « pas invité » au tractage et on lui aurait demandé de ne plus se repointer. Quant à son ami Martin D., il le connait bien et ne le voit « absolument pas dans ce milieu » malgré de nombreuses accointances. Un discours en phase avec la prétendue dédiabolisation du parti lepéniste que les journalistes entendent depuis plus de quinze ans. Décidément, Pierre-Romain Thionnet a vite appris le métier.
(1) Le prénom a été changé.
Le portrait a été écrit par Daphné Deschamps et Arthur Weil-Rabaud. Le shooting photo a été réalisé par Corentin Fohlen.
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