« Pour les Ukrainiens, négocier avec les Russes est impensable », estime l’experte en géopolitique Christine Dugoin-Clément

, « Pour les Ukrainiens, négocier avec les Russes est impensable », estime l’experte en géopolitique Christine Dugoin-Clément
, « Pour les Ukrainiens, négocier avec les Russes est impensable », estime l’experte en géopolitique Christine Dugoin-Clément

Chercheuse à la chaire « Risques » de l’IAE Paris-La Sorbonne, ainsi qu’au Centre de recherche de l’école des officiers de la Gendarmerie nationale, Christine Dugoin-Clément dispose également d’une expertise géopolitique (problématique de défense, Ukraine, Russie). Elle est l’auteure de l’ouvrage Influence et manipulation: des conflits armés modernes aux guerres économiques.

Comment les Ukrainiens ont-ils accueilli la mort d’Evgueni Prigojine, le patron du groupe paramilitaire Wagner?

Même si les informations ont l’air sérieuses, il faut rester prudent. En 2019, Prigojine avait déjà été donné pour mort dans un crash d’avion au Congo, avant de réapparaître plusieurs jours plus tard. Mieux vaut donc attendre d’avoir des certitudes quant à l’identification du corps, si ce n’est une certitude ADN. Mais pour les Ukrainiens, la mort du chef du groupe paramilitaire Wagner, si elle est confirmée, est indéniablement une bonne nouvelle. Pas seulement parce que Wagner a été très impliqué dans les combats sur le sol ukrainien, mais parce que la disparition de son chef pourrait marquer le début de l’affaiblissement de Poutine dans les élites, même si le président est à l’origine du crash de l’avion. Il va falloir observer de près la réaction des « musiciens » (surnom donné aux membres du groupe Wagner), particulièrement des ultras. Sur Telegram, des bruits laissent déjà entendre que ces derniers auraient des « kompromats », des informations compromettantes, qui pourraient éclabousser Poutine. Des rumeurs circulent également sur la volonté du FSB, service de renseignement qui a fait l’objet d’importantes purges après le début de l’invasion de l’Ukraine, de faire du ménage. La mort de Prigojine, qui signerait un comportement hiératique du pouvoir si le Kremlin en est l’ordonnateur, pourrait tout à la fois inquiéter les élites et marquer le début d’une « guerre des tours », d’une modification des équilibres qui, à terme, pourrait affaiblir le pouvoir.

Ce 24 août, jour de l’indépendance de l’Ukraine, revêt-il un caractère particulier dans le contexte actuel?

Pour l’Ukraine, après dix-huit mois de combat, cette guerre est toujours une question de survie. Une défaite serait synonyme d’annihilation du pays, mais aussi de la culture ukrainienne. L’annonce de la livraison d’une soixantaine de chasseurs F-16 juste avant la fête nationale tombe donc à point nommé. Mais ces avions ne seront pas opérationnels avant de longs mois et s’ils représentent un avantage indéniable pour l’armée ukrainienne, ils ne constitueront probablement pas pour autant un « game changer » à eux seuls. Les Ukrainiens, qui connaissent les difficultés de la contre-offensive qui piétine, savent que la guerre sera encore longue et coûteuse en vies. À ce sujet, il est toujours plus facile de défendre des positions que d’attaquer. Les troupes russes, qui ont eu le temps de sécuriser leurs lignes, ont donc un avantage. En zone urbaine, le rapport des pertes entre défenseurs et assaillants est de 1 pour 5, voire 1 pour 8.

Justement, dans quel état d’esprit se trouve le peuple ukrainien? N’est-il pas fatigué par cette guerre qui s’éternise?

Les Ukrainiens ont toujours su que ce serait compliqué. Ils n’ont donc jamais fait preuve d’excès d’optimisme. En revanche, ils restent extrêmement décidés à ne pas entrer dans des négociations avec les Russes qui viseraient à leur abandonner des territoires. Certains ont pointé du doigt des Ukrainiens qui tentaient d’échapper à la mobilisation, mais dans tous les conflits vous trouverez toujours des gens qui n’ont pas envie d’aller combattre, d’autant que les guerres d’artillerie sont particulièrement destructrices. Mais dans le cas de l’Ukraine, il serait erroné d’en faire une majorité ou un marqueur de l’état d’esprit national. Dans leur grande majorité les Ukrainiens tiennent. Les associations et la société civile continuent de venir en aide aux militaires. On l’a vu très rapidement avec la fabrication des drones et leurs nombreuses mises à jour en fonction des retours des unités combattantes. Plus récemment encore, des membres de la société civile ont mis au point des sortes de surchaussures pour offrir plus de sécurité aux démineurs, sans parler des « petites actions » comme la préparation des repas ou de filets de camouflage par la population pour les militaires.

Quitte à voir s’éloigner la paix, le peuple ukrainien soutient donc toujours le président Zelensky qui a réaffirmé que tous les territoires occupés seront libérés?

En réalité, c’est Volodymyr Zelensky qui s’aligne sur ce que veut sa population, et non l’inverse. Les Ukrainiens ne comprendraient pas qu’on abandonne des territoires alors que depuis 9 ans – car pour eux la guerre a commencé en 2014 avec l’annexion de la Crimée par les Russes – ils ont fait d’énormes sacrifices. Cela reviendrait à dire que tous ces morts, tous ces blessés l’ont été en vain. C’est inaudible pour eux! Et puis les Ukrainiens ne sont pas dupes, ils voient bien ce qu’il se passe dans le Donbass, ou encore les oblasts de kherson et Zaporijia avec la mise en place d’une politique de russification des territoires occupés. Je le répète: pour les Ukrainiens, continuer le combat est une question de survie de la Nation, de la culture.

La reprise par les Russes des bombardements contre des bâtiments civils n’a donc aucun effet?

Ces bombardements ont pour but d’affaiblir la société civile ukrainienne pour qu’elle ne soutienne plus le gouvernement et pousser celui-ci à entamer des négociations. Mais les Ukrainiens savent très bien que négocier avec Moscou signifie capituler, ce qui est impensable. Le renforcement des bombardements russes contre les civils visait aussi à l’automne dernier à gêner les mouvements des troupes ukrainiennes, à diviser les forces et les capacités de secours en les contraignants à venir en aide aux civils sur plusieurs points. En outre, les forces russes reproduisent ce qu’ils faisaient déjà en Syrie en frappant une première fois, puis une seconde au même endroit 20 à 30 minutes plus tard afin de cibler les secouristes qui seraient alors présents sur le site bombardé. Ce sont des pratiques maintes fois condamnées par le droit de la guerre et le droit international qui est régulièrement ignoré par le Kremlin.

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