Splendeurs médiévales, Aliénor d’Aquitaine et les arts

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Reine de France puis d’Angleterre, comtesse de Poitiers, d’Anjou, du Maine et de Touraine, duchesse d’Aquitaine bien sûr mais aussi de Normandie, voilà une belle litanie de titres. Aliénor d’Aquitaine est une femme qui s’inscrit dans son siècle, celui d’une effervescence de créations artistiques, avec des troubadours et des trouvères, des auteurs et des autrices comme Chrétien de Troyes, Marie de France et tant d’autres, avec l’amour courtois et la légende arthurienne. Peu de siècles, avant tant de lais, n’ont été si beaux !

L’héritage d’un grand-père troubadour

Par son ascendance, Aliénor d’Aquitaine a un lien organique avec la musique et la littérature. Son grand-père, Guillaume IX, est en effet le premier troubadour, au tournant du 11e et du 12e siècle. Un troubadour est un poète et compositeur qui s’exprime en langue d’oc, par opposition au trouvère, qui s’exprime en langue d’oïl. « Dès l’origine, on a une poésie qui apparaît aboutie, dans un raffinement de la pensée comme de la forme », constate Katy Bernard, spécialiste de littérature en langue occitane. Aliénor n’a pas connu bien longtemps ce grand-père, mort en 1126, mais on peut supposer qu’elle a hérité de lui une sensibilité poétique, qu’elle aurait d’ailleurs transmise à son fils Richard Cœur de Lion, qui s’est lui-même livré au langage troubadouresque. Dans sa chanson « Ja null hom pris », « il se met dans la peau du grand seigneur poète, modèle créé par Guillaume IX d’Aquitain », son arrière-grand-père, analyse Katy Bernard.

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Le Cours de l’histoire

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À la cour d’Aliénor d’Aquitaine et de son second mari, Henri II Plantagenêt, les artistes, écrivains, intellectuels, penseurs et troubadours se pressent et se croisent. Parmi eux, quelques grands noms qui semblent avoir compté dans la vie d’Aliénor : Bernard de Ventadour, un troubadour qui a beaucoup chanté la reine, Jean de Salisbury, Thomas d’Angleterre, Wace, Benoît de Sainte-Maure, pour n’en citer que quelques-uns. La cour Plantagenêt se distingue par son rayonnement culturel exceptionnel.

La littérature de cour se caractérise par sa diversité et sa richesse. On peut en évoquer deux grandes tendances, l’une qui a à voir avec l’héritage gréco-romain, et l’autre avec la matière de Bretagne. Des auteurs comme Benoît de Sainte-Maure, avec son Roman de Troie, s’illustrent en effet dans la réécriture de récits issus de l’Antiquité. Le développement des romans antiques s’accompagne d’une reconfiguration et d’une actualisation des modèles antiques. Mis au goût du jour, ils incluent des thématiques courtoises et des préoccupations politiques contemporaines, qui visent souvent à légitimer la dynastie. D’autre part, les lais, comme ceux de Marie de France, et les romans courtois, comme le Tristan de Thomas d’Angleterre, ou les romans de Chrétien de Troyes, exploitent davantage les contes bretons, et en particulier la légende arthurienne. Là encore, ces opérations de réécriture ont des implications politiques et contribuent à diffuser l’idéologie Plantagenêt et la renommée de la dynastie.

Continent Musiques

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On a longtemps présenté la cour d’Aliénor comme un foyer de développement et de rayonnement des codes de l’amour courtois, la fin’amor que les troubadours ont contribué à façonner. Dans son Traité de l’amour courtois, André Le Chapelain présente en effet Aliénor comme une reine courtoise, qui présiderait avec sa fille Marie de Champagne des « cours d’amour », examinerait et jugerait les litiges sentimentaux qu’on lui soumet. Il est difficile de se fier complètement à cette source, qui n’est corroborée par aucun autre témoignage. Les écrits d’André Le Chapelain ont néanmoins contribué à diffuser une image durablement mythifiée d’Aliénor.

De la même manière, il faut nuancer l’image légendaire d’Aliénor reine des troubadours et des artistes, mécène et protectrice. On a longtemps surinterprété son influence, alors qu’Aliénor n’a en réalité jamais passé de commande aux écrivains et poètes de son entourage. Néanmoins, un certain nombre d’œuvres lui sont dédicacées, comme le Roman de Brut de Wace. D’autres évoquent sa figure de façon idéalisée, ce qui témoigne malgré tout de l’influence qu’elle a eu sur la production littéraire de son temps. Il apparaît ainsi certain qu’Aliénor d’Aquitaine, par son mariage avec Henri II Plantagenêt, a contribué à une circulation et à une hybridation artistiques et culturelles inédites dans l’Occident du 12e siècle.

Pour en savoir plus

Katy Bernard est médiéviste, maîtresse de conférences d’occitan à l’université Bordeaux Montaigne. Elle est spécialiste de littérature en langue occitane et des textes littéraires des troubadours.
Elle a publié :

  • Nous, Aliénor, Éditions Confluences, 2024
  • Les Mots d’Aliénor. Aliénor d’Aquitaine et son siècle, Éditions Confluences, 2015, réédité 2021
  • La Dame-Graal. Chansons de Rigaud de Barbezieux, Éditions Fédérop, 2017
  • Le Néant et la Joie. Chansons de Guillaume d’Aquitaine, Éditions Fédérop, 2013

Katy Bernard a également coécrit le livre-CD  Trobadors d’Alienor avec Xavier Terrasa, disque qui réunit un collectif d’artistes reconnus autour de l’ensemble LA FLAMA.

Bénédicte Milland-Bove est maîtresse de conférences en littérature médiévale à l’université Sorbonne Nouvelle. Elle est spécialiste du roman au 12e et 13e siècles et du roman arthurien. Elle a étudié la cour de Champagne.
Elle a publié :

  • Erec et Enide de Chrétien de Troyes, édition bilingue établie, traduite et annotée avec Vanessa Obry, Champion Classiques, 2022
  • La Demoiselle arthurienne. Écriture du personnage et art du récit dans les romans en prose du XIIIe siècle, Champion, 2006

Références sonores

Archives et extrait de film :

  • L’historien Mario Roques, RTF, 22 mai 1956
  • L’historien Gustave Cohen à propos des lais de Marie de France, RTF, 14 décembre 1957
  • Extrait du film Le Lion en hiver de Anthony Harvey, 1968

Lectures par Frédérique Labussière :

  • Extrait du Roman de Rou de Wace, vers 1160-1170
  • Extrait du Traité de l’amour d’André Le Chapelain, vers 1180-1200
  • Lettre de Hildegarde de Bingen à Aliénor d’Aquitaine, entre 1173 et 1189

Musique :

  • Chanson de Guillaume d’Aquitaine interprétée par l’ensemble De Caelis
  • « Can vei la lauzeta » de Bernard de Ventadour, interprété par l’ensemble LA FLAMA, extrait du disque Trobadors d’Alienor
  • « Ja null hom pris » de Richard Cœur de Lion, interprété par David Zubeldia de l’ensemble LA FLAMA, extrait du disque Trobadors d’Alienor
  • Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020

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