On sait depuis l’antiquité que la Lune a une influence très importante sur la dynamique de nos océans, notamment à travers le cycle des marées. Mais il se trouve qu’elle n’est pas la seule : Mars a également son rôle à jouer dans la dynamique de l’eau sur la Planète Bleue, et des chercheurs de la Sorbonne et de l’Université de Sydney ont récemment révélé l’existence d’un nouveau phénomène qui n’avait jamais été rigoureusement documenté auparavant.
L’équipe d’Adriana Dutkiewicz, géologue à l’Université de Syndey et auteure principale de ces travaux, cherchait initialement à déterminer dans quelle mesure les courants au fond des océans sont affectés par climat global sur de grandes échelles de temps. Deviennent-ils plus vigoureux lorsque le climat se réchauffe, ou ont-ils tendance à se calmer ?
Des motifs récurrents dans les sédiments des océans
Pour répondre à cette question, les chercheurs ont passé en revue des centaines d’analyses géologiques de régions très profondes des océans. C’est un bon indicateur des turbulences qui surviennent aux grandes profondeurs. Si l’on trouve des dépôts de sédiments continus et harmonieux, cela signifie que les courants étaient suffisamment calmes pour permettre à ce matériel de s’accumuler tranquillement. À l’inverse, on peut aussi trouver des ruptures dans les motifs sédimentaires ; on peut alors en déduire que le fond de l’océan était plus turbulent pendant la période où ils se sont accumulés.
Un élément les a surpris lors de l’analyse : ils ont trouvé que ces ruptures étaient largement plus abondantes sur certaines périodes, et que leur répartition suivait un cycle de 2,4 millions d’années.
Un tango gravitationnel entre la Terre et Mars
À première vue, l’origine de ces motifs était tout sauf évidente. Après avoir analysé le problème sous tous les angles, ils ont conclu qu’il n’y avait qu’un seul élément susceptible d’influencer la Terre avec une telle régularité à cette échelle de temps : la fameuse Planète Rouge !
« Nous avons été surpris de trouver ces cycles de 2,4 millions d’années dans nos relevés sédimentaires », explique Dutkiewicz. « Il n’y a qu’une seule façon de les expliquer : ils sont liés aux cycles des interactions entre les orbites de Mars et de la Terre ».
En effet, les deux planètes interagissent régulièrement (toutes proportions gardées) au fil de leurs rotations autour du Soleil. Lorsque deux corps célestes se rapprochent l’un de l’autre, leurs champs gravitationnels interfèrent avec leurs trajectoires respectives. En pratique, cela se manifeste notamment par des variations d’excentricité, un paramètre qui mesure à quel point une orbite est proche d’un cercle parfait.
Ces changements de trajectoire s’accentuent, puis régressent progressivement au cours de longs cycles qui durent — vous l’aurez deviné — 2,4 millions d’années. Et ces variations ont un impact très concret sur notre planète. A certains moments de ce cycle, la Terre est plus exposée aux rayonnements émis par le Soleil, ce qui se manifeste par un réchauffement temporaire du climat. À l’inverse, pendant la deuxième phase, les températures globales ont tendance à chuter.
Des implications en climatologie
En mettant tous ces éléments dans la balance, Dutkiewicz et sescollègues ont constaté que les ruptures dans les motifs sédimentaires correspondaient aux périodes les plus chaudes du cycle. On peut donc en déduire que les courants des fonds marins sont bel et bien affectés par le climat global.
Un autre élément vient d’ailleurs consolider cette hypothèse. Les chercheurs ont constaté que ces ruptures étaient particulièrement abondantes pendant des périodes dont sait qu’elles étaient particulièrement chaudes, comme le maximum thermique du passage Paléocène-Éocène il y a 56 millions d’années.
Mais la conclusion la plus intéressante, qui nécessite de prendre un peu de recul, c’est que les interactions gravitationnelles entre Mars et la Terre affectent la dynamique des grands fonds de manière très concrète.
Les conséquences de ce phénomène périodique, en revanche, sont encore assez mystérieuses, car il est excessivement difficile de les percevoir à l’échelle d’une vie humaine. Mais c’est une thématique qui méritera d’être davantage explorée à l’avenir.
En effet, les chercheurs estiment que ces bouleversements pourraient interagir avec d’autres phénomènes dont ont sait qu’ils ont un impact déterminant sur le climat global, comme le Gulf Stream ou la circulation thermohaline — d’immenses mouvements d’eau engendrés par des différences de température et de salinité dans différentes régions marines. Les auteurs espèrent donc que leurs découvertes pourraient aider la communauté scientifique à construire des modèles climatiques encore plus solides.
Le texte de l’étude est disponible ici.
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