Violences sexistes et sexuelles à l’hôpital : des témoignages édifiants

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Fruit de la rencontre entre un professeur de neurologie à la faculté de Médecine Sorbonne Université, le neurologue Emmanuel Flamand-Roze, et une réalisatrice, Olympe de Gê, le podcast Le Serment d’Augusta, lancé à la fin de l’année 2022, explore les relations soignants-soignés, pour mieux les réinventer. Le dernier épisode, « Moi aussi, j’agirai contre les violences », est une collection de témoignages d’hommes et de femmes, professionnels de santé, étudiants, internes, victimes de violences sexistes et sexuelles (VSS) à l’hôpital. Parmi ces victimes, des anonymes, mais aussi des personnalités publiques, comme Roselyne Bachelot, ou encore Agnès Buzyn. S’ils reviennent sur les sévices qu’ils ont subis, ces professionnels de santé tracent aussi la voie d’avenir qui permettrait de sortir l’hôpital de cette culture mortifère. Entretien croisé avec les auteurs de ce podcast, Olympe de Gê, et Emmanuel Flamand-Roze.

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Medscape édition française : Pouvez-vous nous dire comment est née cette collaboration avec le Pr Emmanuel Flamand-Roze?

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Olympe de Gê : J’ai voulu reprendre des études de santé et j’ai présenté un dossier en passerelle pour entrer en deuxième année de médecine. Emmanuel a été le premier praticien hospitalier à m’accepter en stage dans son service, on s’est rencontré comme cela. Lui avait développé The move, qui est un concept d’enseignement innovant permettant d’enseigner la neurologie. Il souhaitait faire une émission mais je lui ai plutôt conseillé de faire un podcast et c’est comme cela qu’est né Le Serment d’Augusta : Augusta Klumpke a été la première femme acceptée comme interne aux hôpitaux de Paris et la première neurologue.  Cette personnalité permettait de rassembler le féminisme qui m’est cher et la neurologie, la profession d’Emmanuel.

Les témoignages recueillis de VSS se déroulent à l’hôpital et non en médecine de ville ou en clinique, pourquoi ? 

Olympe de Gê : D’abord parce que c’est un enseignement universitaire donc il parait logique de recueillir nos témoignages là où les étudiants apprennent la médecine. Aussi, Emmanuel a fait toute sa carrière à l’hôpital, donc c’est là qu’il a son réseau.

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Emmanuel Flamand-Roze : C’est là que nous avons notre réseau, et c’est également là que le poids de la culture hospitalière est le plus fort, mais je pense que l’on peut rencontrer le même genre d’expérience en clinique car les professionnels de santé ont été éduqués de la même manière. 

La culture carabine apparait-elle comme le cache-sexe de rapports de domination ? 

Olympe de Gê : Je n’ai pas l’impression que ce soit un prétexte au rapport de domination, je pense que c’est une manifestation qui refuse d’être pensée. On refuse de voir la violence que contient cette culture. Personnellement, je n’ai pas été choquée par la fresque pornographique de la Pitié Salpêtrière que je trouve assez égalitaire, en termes de genre. Mais il est vrai qu’en écoutant Martin Winckler qui s’exprime dans notre podcast, j’ai aussi réalisé que ces fresques-là étaient assez particulières, et j’ai révisé mon jugement sur leur présence plus globale dans les CHU français. 

Emmanuel Flamand-Roze : Oui, la culture carabine peut être considérée comme un alibi du rapport de domination.

Une des victimes interrogées annonce à son encadrement qu’elle a été victime d’un viol par un autre professionnel de santé au sein de l’hôpital, et on lui conseille dorénavant d’éviter l’agresseur, c’est tout

La dénonciation de ces VSS sous couvert d’humour carabin provoque très souvent l’arrêt de ces violences, pourquoi ces dénonciations ne sont-elles pas plus courantes ?

Olympe de Gê : Je n’ai pas l’impression que la dénonciation des VSS y mette fin, et pour la plupart des personnes interviewées, ce n’est pas le cas. Par exemple, une des victimes interrogées annonce à son encadrement qu’elle a été victime d’un viol par un autre professionnel de santé au sein de l’hôpital, et on lui conseille dorénavant d’éviter l’agresseur, c’est tout. La Dre Coraline Hingray  explique que les victimes subissent une triple peine : le trauma de la VSS, la dénonciation du trauma, et l’absence de sanctions. Qui plus est, comme l’explique Maître Christelle Mazza, la confraternité peut faire en sorte de stopper la carrière de celui ou celle qui aurait eu l’audace de dénoncer ce genre de violences. Les gens qui ont témoigné avaient vraiment peur : certaines m’ont demandé de masquer leurs voix, d’autres n’ont pas pu témoigner et je pense que c’est une peur justifiée. 

Emmanuel Flamand-Roze : Les dénonciations ne sont pas courantes, car les gens craignent pour leur avenir. Il y a aussi le fait que les victimes ne savent pas si ce qui s’est passé, lors de leur agression, est anormal, car l’on baigne dans cette culture. Agnès Buzyn nous le raconte bien. Et puis le système n’est pas en mesure de protéger les victimes donc cela ne donne pas envie de dénoncer. D’une façon générale, à l’hôpital, quand tu dénonces ou crées de l’agitation, cela a tendance à se retourner contre toi et cela ne donne pas une image favorable de tes projets.

J’espère que la prise de parole de Karine Lacombe, d’Agnès Buzyn, de Roselyne Bachelot, va permettre de faire bouger les choses

L’encadrement hospitalier semble garantir une certaine immunité aux auteurs de VSS comme le relate Agnès Buzyn. L’hôpital serait-il resté au Moyen-Age ? 

Olympe de Gê : Pauline Maisani et Agnès Buzyn expliquent, en effet, que l’hôpital a des progrès à faire. J’espère que la prise de parole de Karine Lacombe, d’Agnès Buzyn, de Roselyne Bachelot, va permettre de faire bouger les choses. Comme l’explique Pauline Maisani, il y a des outils qui existent, pour prévenir les VSS, comme le « violentomètre ». Depuis #Metoo, à partir de 2017, on réfléchit à la question des VSS et l’on invente de nouveaux outils. Donc je ne pense pas que l’hôpital soit au Moyen-Age. Je pense que la société française tout entière est un peu en retard sur ces questions. Mais je reste optimiste, toute notre société, depuis 2017, avance, même si c’est lent. 

Emmanuel Flamand-Roze : Oui, l’hôpital a pris du retard sur la société en ce qui concerne les VSS, et nous voulons accompagner le changement avec ce podcast. Agnès Buzyn le raconte bien, il y a encore des choses à faire, pour gagner en efficacité en termes d’organisation et de process, mais si pouvions déjà nous aligner sur ce qui est fait en dehors de l’hôpital ce serait pas mal.

Ces VSS touchent davantage les femmes que les hommes mais pour autant lorsque les femmes sont en position de domination, elles peuvent elles aussi recourir à ces violences. Les VSS, attributs du pouvoir ?

Olympe de Gê : Je ne dirais pas que les VSS sont forcément l’attribut du pouvoir, car les auteurs femmes ne sont pas du tout aussi nombreuses que les hommes, et je ne pense pas que les femmes en position de domination aient recours systématiquement aux VSS. Si elles exercent de la violence, je pense qu’elles seront plus facilement amenées à user de harcèlement moral par exemple. Les VSS restent vraiment très majoritairement infligées par les hommes. Alors oui, la position de pouvoir peut débrider le comportement de certains hommes, mais je ne pense pas qu’il faille être en position de pouvoir pour infliger des VSS. 

Emmanuel Flamand-Roze : Oui, les VSS sont des attributs du pouvoir. Si les femmes qui accèdent au pouvoir adoptent les codes du patriarcat, alors cela donne le même résultat mais cela dit, la proportion n’est pas du tout la même.

Dans les faits, la transmission de la brimade persiste encore

Le cas Patrick Pelloux est emblématique. Il a été surprotégé par sa stature médiatique et politique mais il a suffi de le dénoncer pour qu’il chute de son piédestal ?

Olympe de Gê : Je ne suis pas sûr qu’il ait chuté de son piédestal, il faut attendre pour voir. Nous l’avons contacté et je souhaitais réellement avoir une conversation avec lui pour faire évoluer sa façon de voir les choses.  C’est très naïf de ma part, mais je pense que les gens peuvent évoluer. 

Emmanuel Flamand-Roze : Oui ça aurait été vraiment chouette qu’il dise un truc comme : j’ai fait n’importe quoi , je m’en rends compte à posteriori, je le regrette. Venant de lui ça aurait été super fort.

Roselyne Bachelot avoue à mots couverts un viol dont elle aurait été victime (ou tout du moins une violence sexuelle très traumatisante). Elle ajoute : je pensais que ces VSS faisaient partie de la fonction. Les mentalités ont elles évolué ? 

Olympe de Gê : Je pense que des étudiants, ainsi que des praticiens engagés vont développer un discours progressiste, mais dans les faits, la « transmission de la brimade » persiste encore. Je n’ai pas l’impression que les mentalités évoluent rapidement, c’est forcément lent, pour un vrai changement je pense que ça se fait sur des générations. 

Emmanuel Flamand-Roze : Cela a évolué depuis, la nouvelle génération n’a pas du tout envie que cela se passe comme cela se passait du temps où Roselyne Bachelot était étudiante. Ils savent mieux faire la différence entre ce qui est normal et ce qui ne l’est pas.

La renommée scientifique mais aussi des questions économiques (un chirurgien qui rapporte beaucoup d’argent) font-elles en sorte que l’on passe sous silence des VSS ?

Emmanuel Flamand-Roze : La renommée du milieu médico-scientifique protège mais cela va bien au-delà. L’histoire de l’abbé Pierre montre bien que ce n’est pas spécifique à l’hôpital. 

La révolution managériale à l’hôpital souhaitée par Agnès Buzyn a-t-elle eu lieu ? 

Olympe de Gê : Je ne crois pas mais c’est en cours. Pauline Maisani parle de ce que l’on peut mettre en place, à La Pitié Salpêtrière, où ils sont assez progressistes. 

Emmanuel Flamand-Roze : la révolution managériale est en cours. Dans les témoignages récents que nous avons recueillis, l’on se rend compte que le problème n’a pas disparu, mais les changements sont en cours.

Je suis convaincue que pour que les mentalités changent, il faut que chacun.e puisse prendre conscience de son sexisme, sans peur, ni culpabilité

S’achemine-t-on vers la « 0 tolérance » contre les VSS ?

Olympe de Gê : Je ne sais pas, je pense que la « tolérance 0 » ne va pas fonctionner sur tout ce qui est sexisme quotidien, remarques sexistes, violences verbales. Bien sûr pour les agressions sexuelles et les viols, il faut absolument que la tolérance zéro soit appliquée, l’hôpital ne doit en aucun cas être étanche aux règles de notre société ni aux lois. Mais pour ce qui est du sexisme quotidien, je pense que ça va plutôt évoluer par le dialogue entre membres d’une équipe de soin, par des conversations de groupe, en staff par exemple. Sur ces sujets, la menace et la punition ne fonctionnent pas bien, on le voit avec la réplique de Pelloux : « on ne peut plus rien dire ». Je suis convaincue que pour que les mentalités changent, il faut que chacun.e puisse prendre conscience de son sexisme, sans peur, ni culpabilité. C’est comme ça que les dynamiques changent de façon durable.

Emmanuel Flamand-Roze : oui, je pense que l’on s’achemine vers une tolérance 0, en tous les cas je l’espère. Le podcast va y contribuer, surtout si l’on arrive à le faire écouter à tous les étudiants en santé, comme c’est le cas à la Sorbonne.

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