Face à la concentration des médias, quelle régulation ? (3/3)

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L’exemple de la chaîne CNews est éloquent en matière de non-respect du pluralisme de la pensée. Il est urgent que l’Arcom revoie ses règles de comptabilisation.

François Jost, sémiologue, professeur émérite à la Sorbonne Nouvelle

Le 13 avril 2022, Reporters sans frontières a saisi le Conseil d’État pour contester le refus de l’ Autorité de régulation de la communication audiovisuelle (Arcom) d’agir contre les manquements de CNews à ses obligations quant au pluralisme. Pour appuyer son recours sur des faits objectifs, l’ONG m’a demandé de faire une étude sémiologique des programmes de CNews.

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Parmi les résultats qui montraient que, globalement, les séquences d’information proprement dites avaient peu de place par rapport à celles de débats, il ressortait que les personnalités d’extrême droite occupaient environ 50 % du temps d’antenne, ce qui, notons-le en passant, rejoignait les conclusions de l’étude du CNRS sur Touche pas à mon poste. Interrogée sur ce point par un journaliste de l’Express, l’Arcom a répondu qu’elle ne constatait pas un tel déséquilibre et que sa comptabilité montrait, au contraire, une représentation pluraliste. Les raisons d’un tel écart questionnent le bien-fondé de la méthode adoptée par l’institution de régulation de l’audiovisuel. Elle ne comptabilise, en effet, que les personnes rattachées à un parti, alors que mon étude, comme celle du CNRS , tient compte de toutes celles qui se trouvent à un moment donné sur le plateau.

« Pour incarner un »courant de pensée« , nul besoin d’être une personnalité politique. »

Selon le critère de l’Arcom, Laurent Joffrin sera comptabilisé à gauche parce qu’il appartient au mouvement Les Engagé·e·s, alors qu’une journaliste de Causeur ou de Valeurs actuelles ne le sera pas. Plus que d’une différence de méthode, il s’agit d’une interprétation différente des textes qui régulent le pluralisme. Dans la convention qu’a signée CNews, il est stipulé dans l’article 2-3-1 « Pluralisme de l’expression des courants de pensée et d’opinion » que « l’éditeur assure le pluralisme de l’expression des courants de pensée et d’opinion ». Or, pour incarner un « courant de pensée », nul n’est besoin d’être une personnalité politique professionnelle. Les multiples débats qui peuplent le monde de CNews – sur l’immigration, la sécurité ou la violence – expriment eux aussi une vision du monde et un positionnement politique qui, en l’occurrence, sont souvent proches de l’extrême droite.

Si l’on ajoute à cela que la même convention précise que l’éditeur doit veiller « à ne pas encourager des comportements discriminatoires en raison de la race ou de l’origine, du sexe, de l’orientation sexuelle, de la religion ou de la nationalité », on doit bien admettre que ces comportements sont aussi bien adoptés par des chroniqueurs que des journalistes. La présence, pendant des mois, d’un homme condamné pour incitation à la haine raciale a été à l’encontre de cette obligation. On voit à quelle absurdité conduit cette méthode de comptage restreinte aux politiciens : en tant que simple journaliste, Zemmour a pu officier sans que ses interventions quotidiennes ne soient prises en compte. Et, pourtant, il disait déjà ce qui allait devenir le fonds de commerce du chef de parti qu’il est devenu. Pour que le pluralisme de pensée ne soit pas un trompe-l’œil, il est urgent que l’Arcom revoie ses règles. 

La liberté d’être informé est un droit fondamental pour tous les citoyens. Il faut assurer l’indépendance des rédactions avec la nécessité de garde-fous légaux.

Emmanuel Vire, secrétaire général du SNJ-CGT

La presse et les médias, pourtant présentés comme des gouffres financiers, n’ont jamais autant intéressé les milliardaires, les géants industriels et les fonds financiers. L’arrivée de nouveaux propriétaires s’accompagne souvent de suppressions massives de postes, le personnel étant vu d’abord comme un coût et non une richesse. Mais l’intérêt de ces investissements est ailleurs. Bâtir un empire médiatique, c’est s’acheter de l’influence. Et exercer son influence, c’est imprimer sa marque sur la ligne éditoriale. Vincent Bolloré en représente la caricature, capable d’imposer des sujets de complaisance sur les potentats africains avec qui il est en affaires ou de censurer un documentaire sur le Crédit mutuel, dirigé alors par son ami Michel Lucas. Et que dire de Paris Match, qui met en une et interviewe complaisamment le cardinal Robert Sarah, auteur, entre autres, de propos insultants envers les homosexuels.

« Il faut assurer l’indépendance juridique des rédactions vis-à-vis des actionnaires. »

Mais Bolloré ne doit pas faire oublier les autres. Les organisations syndicales, la société des journalistes et la rédaction du Parisien ont ainsi exprimé leur colère. Le SNJ-CGT y dénonce les « dérives du journal partisan (…) pour imposer une “ligne” qui emboîte le pas de la communication du gouvernement ». Petit rappel : le Parisien figure, au côté des Échos, dans l’escarcelle de Bernard Arnault, patron de LVMH. Face à cette concentration, quels garde-fous ? Épinglé par la Commission européenne pour position dominante dans le secteur de la presse people, Bolloré choisit de vendre Gala pour conserver Paris Match. Mais c’est d’un mécanisme anticoncentration a priori – et non d’une sanction après coup – dont nous avons besoin : vrais seuils légaux, impossibilité de posséder à la fois des « grands médias » écrits et audiovisuels, interdiction aux groupes industriels et financiers dépendant de la commande publique de détenir des médias…

Besoin aussi d’un système qui permette à des titres indépendants des grands groupes de se créer ou de perdurer. Le SNJ-CGT revendique depuis longtemps une remise à plat des aides à la presse, dont la majorité bénéficie à des titres détenus par une poignée de milliardaires. Et au-delà des dispositifs anticoncentration, il faut assurer l’indépendance juridique des rédactions vis-à-vis des actionnaires.

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Instaurer de vraies protections pour éviter toute pression sur les contenus, donner le droit aux rédactions, par exemple, de valider ou au contraire de s’opposer à des changements capitalistiques, à des nominations à la direction de la rédaction… La question de la liberté de la presse, de la liberté d’informer et d’être informé dépasse de loin notre profession. C’est un droit fondamental qui concerne tous les citoyens. Le SNJ-CGT a d’ailleurs signé l’appel « pour une réappropriation démocratique des médias », lancé en 2019 par Acrimed, qui défend notamment « un autre journalisme, plus exigeant et plus libre vis-à-vis des pouvoirs ». Il y a du boulot… 

Pour aller plus loin. Le dossier « Liberté de la presse » sur le site snjcgt.frLe site de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique sur arcom.fr

À lire. Est-ce que tu mèmes ? De la parodie à la pandémie numérique, de François Jost, CNRS éditions, 2022.

Cette chronique est reproduite du mieux possible. Si vous désirez apporter des explications sur le sujet « Anciens et étudiant de Panthéon-Sorbonne », vous avez la possibilité de d’échanger avec notre rédaction. Notre plateforme sorbonne-post-scriptum.com vous conseille de lire cet article autour du thème « Anciens et étudiant de Panthéon-Sorbonne ». La fonction de sorbonne-post-scriptum.com est de rassembler sur le web des données sur le sujet de Anciens et étudiant de Panthéon-Sorbonne et les diffuser en répondant du mieux possible aux interrogations des gens. En consultant régulièrement nos pages de blog vous serez au courant des prochaines publications.