Interview d’Emmanuel Macron : «Il ne suffit pas de s’adresser aux classes moyennes pour qu’elles vous entendent»

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FIGAROVOX/ENTRETIEN – Pour le professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne Arnaud Benedetti, la stratégie d’Emmanuel Macron qui consiste à démultiplier sa parole dans les médias est contre-productive. Son intervention du 15 mai sur TF1 en est, selon lui, l’illustration.

Arnaud Benedetti est professeur associé à l’Université Paris-Sorbonne. Il est rédacteur en chef de la revue politique et parlementaire. Il a publié Comment sont morts les politiques ? – Le grand malaise du pouvoir (éditions du Cerf, novembre 2021).


LE FIGARO. – Le chef de l’État était l’invité du JT de 20 heures de TF1 lundi 15 mai. Quels enseignements peut-on en tirer ?

Arnaud BENEDETTI. L’entretien présidentiel s’inscrit dans une stratégie dont le but est d’asphyxier médiatiquement la contestation contre la réforme des retraites. Le président et le gouvernement tentent de tourner la page alors que les enquêtes d’opinion inscrivent pour le moment dans la durée le soutien des Français à la mobilisation sociale et que les organisations syndicales manifesteront tout juste 48 heures avant la discussion de la niche parlementaire du groupe Liot qui présentera une proposition de loi visant à abroger le texte sur les retraites promulgué voici un mois. La question consiste pour l’exécutif à effacer la scène de la colère pour passer au plus vite à autre chose et d’imposer de la sorte un nouveau récit en espérant que la caisse d’amplification médiatique imprégnera dans l’opinion une autre atmosphère. Il s’agit d’une certaine manière d’imposer un autre air du temps par une «saturation médiatique» en offrant un nouveau menu aux médias. Tout se passe comme s’il fallait, côté gouvernemental offrir en quelque sorte une contre-programmation, comme si l’espace public n’était plus qu’un écran sur lequel le pouvoir au gré de ses intérêts pouvait projeter des séquences susceptibles de transformer la perception de la réalité. Le contenu de l’exercice présidentiel a en conséquence moins d’importance que la fiction qu’il entend construire pour contenir une situation politique très incertaine après tout juste un an de mandat. S’inspirant de Campbell, l’ancien conseiller en communication de Tony Blair on sursature et se référant à Karl Rove, celui qui fut le communicant de Bush Jr, on réinvente en permanence une histoire pour échapper à la pesanteur d’un contexte social et politique, né du débat sur les retraites, qui perdure : les «cent jours», la réindustralisation, les classes moyennes, toutes ces thématiques opèrent comme autant d’échappatoires…

Si Emmanuel Macron fait le choix de parler aux classes moyennes, c’est qu’il pressent peut-être que l’argument de la « crise démocratique » infuse dans de larges couches de la société et que la démocratie est indissociable, comme le disait en son temps le philosophe du radicalisme Alain, de l’adhésion des classes moyennes.

Arnaud Benedetti

Le chef de l’État a annoncé, lundi, sur TF1, 2 milliards d’euros de baisses d’impôts d’ici à la fin du quinquennat. Faut-il y voir une volonté de reconquérir des classes moyennes ? Est-ce que cela peut fonctionner ?

Il ne suffit pas de s’adresser aux classes moyennes pour qu’elles vous entendent. Le problème d’Emmanuel Macron est qu’il ne ménage pas sa parole, qu’il la démultiplie, qu’il en fait une arme de profusion massive, qu’il la scénarise avec une telle obstination répétitive qu’elle ne parvient plus à performer. Le plus inquiétant pour lui est qu’une majorité de français, selon un récent sondage, dit ne plus l’écouter. Quelque chose dans l’effet de son expression oscille entre l’indifférence et l’exaspération. La meilleure preuve de cette difficulté est la faiblesse de l’audience de cette interview, avec moins de 6 millions de téléspectateurs. Dès lors sa parole est frappée d’une obsolescence qui porte peu ou mal, d’autant plus que son adresse à la baisse de la fiscalité sur les classes moyennes est assortie d’une condition : celle de l’amélioration de la trajectoire budgétaire. Si Emmanuel Macron fait le choix de parler aux classes moyennes, c’est qu’il pressent peut-être que l’argument de la «crise démocratique» infuse dans de larges couches de la société et que la démocratie est indissociable, comme le disait en son temps le philosophe du radicalisme Alain, de l’adhésion des classes moyennes. Or ces dernières souffrent depuis de nombreuses années d’un pessimisme quant à leur avenir et à celui de leurs enfants; l’inflation qui les frappe aujourd’hui rajoute à une représentation négative du futur une dégradation de leur condition d’existence au présent. Ces deux facteurs-là sont de nature à aggraver la crise démocratique ; d’où le recours à la promesse fiscale pour tenter de restaurer un minimum de confiance et d’adhésion. L’exercice vise à gagner du temps sur le temps d’une crise qui peut s’accélérer à tout moment si le maillage social des classes moyennes venait à se distendre du fait de l’érosion continue de leur pouvoir d’achat. Si la société de consommation ne permet plus la consommation, et le confort qui va avec, le pouvoir voit ce qu’il lui reste de crédit s’affaiblir.

Le mouvement contre la réforme des retraites a, en effet, fortement mobilisé ces catégories, tout particulièrement dans les petites villes de province. L’enjeu pour l’exécutif est-il d’éviter un nouveau mouvement de contestation majeur ?

Il faut garrotter en effet l’hémorragie contestataire, couper la route à la protestation pour s’éviter un retour de souffle qui menace un équilibre politique très instable. Le problème du second mandat d’Emmanuel Macron, par-delà la crise des retraites, est qu’il se heurte à une situation où, faute de majorité claire et suffisante, y compris dans le contexte d’une majorité relative, les institutions de la Ve ne protègent plus avec la même efficience les détenteurs du pouvoir. Pour la première fois depuis 1958, faute de réelle majorité non seulement absolue, mais également relative, l’exécutif est à découvert. Force est de reconnaître qu’il s’agit là d’une situation inédite qui donne plus de force encore à tout mouvement de mécontentement, comme si celui-ci disposait d’une sorte d’effet multiplicateur sur le plan politique à mesure que les stabilisateurs institutionnels ne parvenaient plus à opérer. De ce point de vue, l’initiative du groupe parlementaire Liot peut réellement créer un effet de trouble dans l’opinion si jamais la proposition de loi était adoptée et par conséquent redonner du carburant à une mobilisation sociale qui à ce stade n’est pas définitivement éteinte. C’est ce que craint à coup sûr, avec raison, le gouvernement, d’où cette communication tous azimuts à laquelle participe le président , conscient qu’il joue pour une part la viabilité de son quinquennat dans un moment de grande incertitude .

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