Université Libé à la Sorbonne : dans les coulisses d’une journée pour tenter de «sauver la gauche»

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Il n’a pas l’air de trop savoir ce qu’il est venu faire dans cette galère. 10 heures du matin, dans un amphithéâtre vide de la Sorbonne. Bernard Friot est en avance. Participer à un forum de Libé ? Une première pour l’éminent sociologue, membre du Parti communiste, électeur insoumis et défenseur obstiné du salaire à vie (il s’agit, en gros, d’étendre le statut de fonctionnaire à tout le monde). Pas le genre libéral libertaire. Dans l’amphi désert, il tombe sur Thomas Legrand, un pied à France Inter, un autre dans l’ancien canard de Serge July, les deux dans la social-démocratie. Deux gauches. «Libé, je ne le lis que dans le salon Grands voyageurs de la SNCF, avec le Figaro et l’Equipe», aborde Friot. Il s’est tout de même laissé convaincre de venir, après une interview dans nos pages sur la réforme des retraites. «Il faut absolument reconstituer l’affrontement droite-gauche», réfléchit-il tout haut. Mais il hésite. «C’est pas évident. C’est une contradiction pour moi. Droite-gauche, c’est ce qu’essaie de faire Libé. C’est ce qu’a fait Thorez en 36 avec le Front populaire. D’où ma présence ici.» Est-ce à dire que Laurent Berger, le patron de la CFDT avec lequel il doit discuter de travail, fait partie de son camp ? Quand même pas, répond-il : la CFDT, le syndicat qui a signé l’accord de la réforme des retraites de 2003, ce n’est pas son camp. Thomas Legrand tente quand même de trouver un point commun entre la CFDT et Friot. Est-ce que le Revenu minimum d’insertion n’est pas une amorce de salaire à vie, proposé par notre homme ? «Non, c’est un filet de sécurité de la bourgeoisie.» On ne les réconciliera pas aujourd’hui.

L’amphi Turgot fait office de vestiaire pour les intervenants à cette première «Université» organisée par Libé. On y croise toutes sortes de gens. Jean-Marc Jancovici, l’écolo pro-nucléaire regarde passer Marine Tondelier, la patronne d’EE-LV qui voudrait bien démanteler les centrales. Au déjeuner, les deux échangent leur carte. Xavier Bertrand, l’ex ministre de Sarkozy, croise Christophe Borgel, l’ancien monsieur élections du Parti socialiste. Après la table ronde du premier («Sortir de la pauvreté, comment redonner le pouvoir de vivre ?») les deux adversaires politiques vont écouter ensemble, sur les bancs de l’amphi Richelieu, Delphine Batho (députée écolo et ex-ministre de Hollande), Carole Delga (patronne PS de la région Occitanie), Timothée Parrique (chercheur en économie écologique) et Jean-Marc Jancovici débattre de la décroissance. Borgel donne la raison de sa présence, lui qui a disparu des arcanes du PS : «J’ai libéré ma journée pour venir écouter “La Sorbonne + Libé” combo gagnant pour le gars de gauche de base que je suis…» Pourquoi est-il aux côtés de Bertrand ? Il a croisé cette «connaissance de longue date» et accepté de passer un moment avec lui sur les bancs de l’université.

«Ça va, tu n’as pas respiré trop de gaz»

Devant l’amphi Descartes, Thomas Legrand entre en discussion avec Cécile Duflot, l’ancienne ministre écolo de François Hollande, devenue la patronne d’Oxfam France. Les deux ne sont pas d’accord sur les chances de Marine Le Pen de l’emporter en 2027. Notre chroniqueur relativise : même si elle gagne, elle n’aura pas de majorité à l’Assemblée. Duflot : «Mais ça n’existe pas ça !» Legrand : «Rien n’existe avant que ça n’existe.» L’écolo se marre. Pas trop longtemps quand même : «Ce qui est sûr, c’est que même sans majorité on a beaucoup de pouvoir. Thank you la majorité de 2015 (dont j’étais même si on a voté contre) : avec ce qu’on a sorti de l’état d’urgence pour le mettre dans la loi générale, personne, et donc hypothétiquement pas Le Pen, n’a besoin de vote au Parlement pour décréter des mesures trash comme l’assignation à résidence. Je me souviens l’avoir dit en 2015 : “Vous vous rendez compte de ce qu’on est en train de voter ?”»

Camille Etienne sort d’une table ronde «Engagement, quel contrat de génération ?». «Ça va, tu n’as pas respiré trop de gaz ?» lui demande Cécile Duflot. La semaine dernière, la jeune activiste est allée manifester devant l’assemblée générale des actionnaires de Total. «Si, en fait je suis sortie en première du camion donc je les ai pris en pleine figure», se marre-t-elle. Les deux femmes partent déjeuner ensemble, en haut de la rue Victor-Cousin. Elles s’installent à la même table. La présidente d’Oxfam France raconte son passé en politique. Les attaques sexistes et le traitement médiatique. Elle interpelle Najat Vallaud-Belkacem, pour appuyer ses propos. L’ancienne ministre socialiste de l’Education, aussi, a eu le droit à un traitement de faveur. Des commentaires sur son physique et des couvertures de journaux (surtout Valeurs actuelles) outrancières. Camille Etienne écoute. En ce moment, elle fait la une des journaux. Son livre, Pour un soulèvement écologique, cartonne. Un peu plus tard, Duflot explique : «Elle n’est dans aucun parti, aucune association. Nous devons la prévenir, la protéger, parce que nos adversaires politiques ne lui feront pas de cadeaux.»

Roussel et Rousseau se tombent dans les bras

Retour de déjeuner. Le chroniqueur et vidéaste Usul serre la main de Bernard Friot. Lui, le youtubeur venu du monde des jeux vidéo. L’autre, l’universitaire auteur d’arides bouquins sur la sécurité sociale. C’est Usul, qui, en 2015, a consacré une longue vidéo à Friot et à son idée de salaire à vie. Depuis, le septuagénaire est devenu une star parmi les jeunes de gauche. On le mesure à l’affluence de l’amphi Richelieu, où notre homme se retrouve aux côtés de Boris Vallaud (le chef de file du PS à l’Assemblée), Dominique Méda (sociologue) et Laurent Berger (toujours patron de la CFDT). Comme toujours, Friot, pousse son idée fixe : la dissociation du salaire et de l’activité qui attribue le salaire à la personne et non à la tâche, l’écart de 1 à 3 entre les niveaux. Il sait chauffer une salle : «Au-delà de 5 000 euros par mois que voulez-vous faire en dehors d’emmerder le monde ?» L’audience applaudit. Il verdit son propos : «L’urgence écologique impose que nos droits ne dépendent pas de notre contrat de travail.» Applaudissements, encore. Sandrine Rousseau arrive de l’Assemblée où était examinée en commission la proposition de loi du groupe Liot visant à abroger la réforme des retraites. Elle fait le point, ça ne va pas fort. A la sortie de son débat, l’écolo tombe sur Fabien Roussel, le député communiste du Nord fan de steaks. Les deux figures médiatiques qui ne manquent jamais de se critiquer l’un l’autre sur leurs positions se tombent dans les bras. Avec Manuel Bompard quelques minutes avant, la poignée de main était bien plus fraîche… Les deux hommes prennent soin d’éviter d’être filmés ou pris en photo ensemble.

A la sortie de son débat sur la laïcité, Nicolas Mayer-Rossignol, le maire socialiste de Rouen, en discussion avec Christophe Borgel, regrette la durée («trop courte») de son débat avec Eric Piolle, Rokhaya Diallo et Nicolas Offenstadt. Jean Massiet (Backseat) débarque et le chambre sur les têtes d’affiche du rassemblement de son courant socialiste à Montpellier ce week-end – Carole Delga, Bernard Cazeneuve, Anne Hidalgo… – «Ça sent pas un peu le formol ?» Riposte de «NMR» : «Le formol, ça conserve !» «Je considère que quand on est une espèce en voie de disparition, on a le droit de faire toutes les blagues qu’on veut», avait prévenu le maire de Rouen quelques secondes avant.

«C’est mignon de voir que vous êtes amoureux !»

Thomas Legrand, lui, essaie toujours de «sauver la gauche», selon ses mots. «Bon, c’était pas passionnant mais on a réussi à se parler non ?» demande le chroniqueur. Mayer-Rossignol charrie son homologue écolo de Grenoble : «Il est gonflé de dire que l’on ne s’intéresse à sa ville que quand il fait des sorties sur le burkini ou les jours fériés chrétiens : c’est lui qui choisit la date pour sortir ses mesures !» A Legrand : «Je vois bien que vous essayez de sauver la gauche, je ne voulais pas vous faire offense.» Tout le monde se marre.

Le débat entre les chefs à plumes de la Nupes draine une nouvelle catégorie de curieux : les journalistes politiques. A la sortie, ils sont plutôt satisfaits : «C’est une bonne journée de la gauche, jauge une rubricarde. C’est intéressant de les voir assumer leur position en public surtout.» Raquel Garrido, qui a parlé de «la République à bout de souffle» avec Loïc Blondiaux, Sacha Houlié et Cholé Ridel, retrouve son mari de député insoumis, Alexis Corbière. Un jeune passe à côté : «C’est mignon de voir que vous êtes amoureux !» Dans la salle, les chefs de file de la Nupes invités pour clôturer les débats avant une soirée Backseat avec François Hollande en guest s’installent. Un technicien demande à l’écolo Marine Tondelier de se rapprocher du communiste Fabien Roussel : «Ah là on est soudé c’est sûr !» plaisante-t-elle. Elle regarde en face, fixe l’insoumis Manuel Bompard qui attend que son voisin du jour, le socialiste Olivier Faure, se dépêtre des griffes des journalistes de Quotidien venus interroger les invités du jour sur la «radicalité» à gauche. Tondelier au même technicien : «J’espère que vous ferez la même chose à Manuel et Olivier !» Pas vraiment. Mais le débat aura, quand même, permis de les rapprocher.

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