Exclusif. – Harcèlement sexuel et moral à l’hôpital, Karine Lacombe brise le silence sur l’urgentiste Patrick Pelloux

, Exclusif. – Harcèlement sexuel et moral à l’hôpital, Karine Lacombe brise le silence sur l’urgentiste Patrick Pelloux
, Exclusif. – Harcèlement sexuel et moral à l’hôpital, Karine Lacombe brise le silence sur l’urgentiste Patrick Pelloux

#Metoo dans le cinéma, le sport, l’armée et maintenant à l’hôpital ? Dès 2023, Karine Lacombe, infectiologue et professeure de médecine à Sorbonne Université, le sous-entendait, dans son livre « Les femmes sauveront l’hôpital : une vie de soignante » (éditions Stock). Elle y dénonçait le sexisme à l’hôpital, en l’illustrant par la description du comportement d’un célèbre urgentiste, sans dévoiler son identité. Aujourd’hui, «  Paris Match », dans une grande enquête signée Anne Jouan, révèle qu’il s’agit de Patrick Pelloux. Des informations confirmées par Karine Lacombe. Suite à ces révélations, elle s’exprime pour la première fois. 

ELLE. Dans votre livre sorti en octobre 2023 sur la place des femmes dans le milieu hospitalier, vous consacrez tout un chapitre dénonçant le sexisme à l’hôpital, notamment le comportement d’un célèbre urgentiste. Pourquoi ne pas avoir donné son nom à ce moment-là ?
Karine Lacombe. – Parce que je ne voulais pas stigmatiser une personne. Je voulais montrer que c’est un problème systémique, avec des gens, en particulier des femmes, qui se taisent et qui subissent. C’est ce qui explique que le système perdure. Un système dans lequel des hommes agissent en toute impunité. 

ELLE. Cela fait 25 ans que vous exercez, les mentalités n’ont pas évolué depuis vos débuts ?

K.L. – Malheureusement, non. Je peux vous donner un exemple, et c’est aussi cela qui m’a porté. J’ai une fille de 26 ans, qui a fait ses études à Paris, a fait des stages à l’hôpital, et a été confrontée à des hommes en situation d’autorité, qui ont eu des gestes et des propos déplacés. Elle apprenait à faire des échographies cardiaques, le médecin qui lui enseignait les gestes, donc en situation hiérarchique et de responsabilités, était assis derrière elle afin de guider sa main, et à un moment, il s’est appuyé contre son dos en rigolant et en lui lançant « j’espère que tu prends un contraceptif ». Un autre soir, elle était de garde avec le médecin senior des urgences et un jeune interne. En partant, ce médecin a dit à l’interne : « Si tu t’ennuies cette nuit, il y a la petite, elle est là pour ça ». Voilà, et on est en 2024.

J’ai une fille de 26 ans, qui a fait ses études à Paris, a fait des stages à l’hôpital, et a été confrontée à des hommes en situation d’autorité, qui ont eu des gestes et des propos déplacés

ELLE. Aujourd’hui, Paris Match révèle que l’urgentiste dont vous dénonciez le comportement dans votre livre est Patrick Pelloux. Vous avez confirmé. C’est une forme de soulagement pour vous ?

K.L. – Non, je ne dirai pas ça. Le soulagement est arrivé lorsque j’ai écrit ce livre. Quand on met des mots sur des actes, lorsque l’on nomme des comportements déviants, on espère qu’ils vont s’arrêter. J’aspire à donner de la visibilité à tout cela, et qu’enfin, il y ait une prise de conscience. Je n’ai aucun sentiment de vengeance personnelle envers Patrick Pelloux. Mais je pense qu’il ne comprend pas que tout cela est intolérable. Quand Anne Jouan, dans son enquête, lui en a parlé, il a juste concédé « C’est vrai qu’à l’époque on était grivois, et ça nous faisait bien rire ! ». Mais cela ne faisait rire qu’eux ! On ne peut pas parler d’un système où les femmes sont consentantes et que ce ne sont que des jeux entre adultes. C’est faux. Quant à moi, j’ai eu une discussion avec lui, il y a deux ans, à sa demande car j’avais parlé de cette prise de conscience sur les violences faites aux femmes à l’hôpital. Il est arrivé dans mon bureau en me disant que je le diffamais. Nous avons discuté de son comportement qu’il a mis sur le dos de « l’époque ». Mais en partant, il a conclu par « De toutes les façons, avec #MeToo, on ne peut plus rien faire »… Ce qui l’absence totale de prise de conscience du caractère au minimum inapproprié de ce type de comportement. 

Je n’ai aucun sentiment de vengeance personnelle envers Patrick Pelloux

ELLE. On comprend que vous-même avez mis du temps à prendre conscience du caractère sexiste et agressif de ces attitudes ?

K.L. – Absolument. C’est arrivé en 2017 avec #MeToo. Ce mouvement nous a ouvert les yeux, à nous, les femmes du milieu hospitalier. Car c’était quelque chose d’installé depuis très longtemps, qui faisait partie de l’ADN de son fonctionnement. Le fait de parler ouvertement de sexualité, d’être victimes de blagues grivoises et sexistes, sous prétexte que nous sommes confrontés à la mort et qu’il faut se détendre. J’ai compris que l’on ne devait plus se taire au sein d’un système décrit comme des jeux entre adultes où soi-disant les femmes seraient consentantes, et que celles qui ne s’y reconnaissaient pas pouvaient être qualifiées de « frigides », « coincées du cul ». Non. Tout cela ne fait rire qu’eux. Ce ne sont pas des jeux. Ce sont des agressions, des humiliations, voire plus, dans certains cas… 

ELLE. Tout commence en 2003 avec Patrick Pelloux, lors de la canicule. Vous décrivez un homme grivois, qui multiplie les blagues sexistes et qui a aussi des gestes déplacés, des mains baladeuses. Vous dites qu’à l’époque, ce type d’attitude est toléré…  

K.L. – C’était intrinsèque à son fonctionnement. C’était lourd. On subissait… Certaines supportaient comme moi, avec parfois une pointe de culpabilité (c’était peut-être de notre faute ?…), d’autres essayaient de s’en sortir avec leurs propres armes en changeant d’heure de garde, de service…

ELLE. Le même été, vous dites qu’il tente de se rapprocher de vous, se procure votre numéro de téléphone, vous fait des avances… Vous le repoussez. Avez-vous l’impression qu’il vous l’a fait payer ?

K.L. – C’est la façon dont j’ai ressenti les choses. Il était le médecin adjoint du service des urgences et déjà sous le feu des médias à cause de sa dénonciation du système sanitaire français qui n’avait pas permis de prédire l’impact de la canicule sur la population et donc sur la surcharge des urgences qui en résultait. J’ai repoussé ses avances. Du jour au lendemain, il m’a traité de « raciste » anti-vieux car je refusais de prendre dans mon service des personnes âgées qui n’avaient pas de problèmes infectieux. J’ai établi un lien, car, pendant un temps il a été très insistant envers moi, une drague lourde en vérité, et lorsque je lui fais comprendre qu’il ne m’intéresse pas, du jour au lendemain, il est devenu extrêmement cassant et humiliant, méprisant.

il a été très insistant envers moi et lorsque je lui fais comprendre qu’il ne m’intéresse pas, du jour au lendemain, il est devenu extrêmement cassant et humiliant, méprisant

ELLE. On comprend à la lecture de votre livre que « tout le monde savait ». Vous dénoncez un comportement empreint de domination sexuelle. Des frottements contre des jeunes internes, des phrases du genre «  tu fais la gueule aujourd’hui, tu as été mal baisée hier soir »… Patrick Pelloux a même été exfiltré en 2008 de l’hôpital Saint-Antoine, comment expliquez-vous que personne n’ait osé en parler ouvertement ?

K.L. – On ne sait pas officiellement pourquoi il a été exfiltré. Il l’explique par des différends liés à son engagement syndical. Roselyne Bachelot qui était ministre en exercice et qui a validé son départ n’a jamais voulu se prononcer. Ce qui se disait à Saint-Antoine, c’est que c’était lié à son comportement général avec le personnel, odieux… incluant son comportement avec les femmes.

ELLE. Sa médiatisation, lors de la canicule de 2003, puis lors des attentats de Charlie ont fait de lui un intouchable ?

K.L. – Il faut comprendre que Patrick Pelloux est une personne d’une grande ambivalence, qui peut être aussi quelqu’un de sympathique, chaleureux, et c’est d’ailleurs l’image qu’il a auprès du grand public. Mais comme beaucoup d’hommes, en situation de pouvoir, il a sa part d’ombre. Et chez lui, c’est son rapport aux femmes, son rapport au sexe, et son absence de prise de conscience.

Comme beaucoup d’hommes, en situation de pouvoir, il a sa part d’ombre

ELLE. En 2017 il est invité à l’Élysée pour prendre part à une table ronde autour de la journée contre les violences faites aux femmes. À vos yeux, ça a été la goutte d’eau ?

K.L. – C’était surréaliste ! C’était une forme de provocation que d’aller à une table ronde sur les violences faites aux femmes, de s’exprimer sur le sujet, alors que tout le monde connaissait son comportement envers elles ! Et d’ailleurs, toute l’assemblée, constituée en partie de femmes journalistes s’est mise à tousser lorsqu’il a pris la parole. Quelle est sa légitimité pour s’exprimer sur le sujet ? Il est médecin urgentiste… Il faut avoir un sacré culot, qui montre une fois de plus son inconscience envers son propre comportement qui peut être assimilé à des violences faites aux femmes. Quel sentiment d’impunité…

ELLE. En 2023 un rapport démontre que 3 femmes sur 4 à l’hôpital ont subi des blagues sexistes et 17 % des agressions sexuelles. Seuls Martin Hirsch, l’ancien directeur de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris et Agnès Buzyn, ex-ministre de la Santé, ont tenté de dénoncer publiquement « un problème de harcèlement sexuel » à l’hôpital. Pourquoi ont-ils été si peu soutenus ?

K.L. – Parce que les gens ont peur. Agnès Buzyn a été très courageuse. Ce que le système a mis en place, c’est de dénoncer et de traduire devant un tribunal des hommes qui ont eu un comportement délictueux, prouvé, avec des personnes qui ont osé porter plainte. Mais pour une personne qui va au tribunal, combien ont eu des comportements inappropriés assimilés à des agressions sexuelles, qui ne seront jamais jugés ? Parce que c’est difficile de parler. Donc on va s’exprimer sur les faits les plus graves, mais le reste, qui pollue la vie au quotidien, on n’a aucun moyen de s’en défendre. 

ELLE. À la suite de la sortie de votre livre, le docteur Damien Barraud fait le rapprochement avec Patrick Pelloux. Il retweete une de vos interviews avec ce commentaire : « Après le charlatan des calanques, le cochon de st Antoine ». Vous aviez déjà à l’époque du covid dénoncé le scandale de l’hydroxychloroquine érigé en médicament miracle par le professeur Raoult, avez-vous été menacé ?

K.l. – Cela a été terrible. C’est pour cela qui j’ai fermé mon premier compte Twitter. J’ai été physiquement agressée en août 2020 à une terrasse de café. J’ai été harcelé sur les réseaux sociaux, j’ai reçu beaucoup d’appels téléphoniques dans mon service, j’ai reçu des lettres d’insultes, je me suis fait traiter de salope, on m’a menacé de me violer avec des fils de fer barbelés, et de beaucoup d’autres insanités… Certes, ce ne sont que des paroles, mais c’est extrêmement violent. 

ELLE. Comment vivez-vous le fait d’être une lanceuse d’alerte ? Qu’en espérez-vous ?

K.L. – J’espère une prise de conscience collective, et en particulier de mes collègues du milieu hospitalier, pour que tout cela s’arrête. J’aspire à une libération de la parole. Que les femmes qui ont vécu des agressions sexuelles, des viols, osent parler. L’hôpital fonctionnera beaucoup mieux si on donne aux femmes la place à laquelle elles ont droit. Pas celle d’un objet sexuel sur lequel on peut exercer ses fantasmes. Mais il faut mettre des mots sur les choses, et c’est pour cela que je voulais prendre la parole.

Si vous souhaitez nous communiquer des informations, vous pouvez nous contacter à temoignagesinfos@cmimedia.fr

Cette chronique est reproduite du mieux possible. Si vous désirez apporter des explications sur le sujet « Anciens et étudiant de Panthéon-Sorbonne », vous avez la possibilité de d’échanger avec notre rédaction. Notre plateforme sorbonne-post-scriptum.com vous conseille de lire cet article autour du thème « Anciens et étudiant de Panthéon-Sorbonne ». La fonction de sorbonne-post-scriptum.com est de rassembler sur le web des données sur le sujet de Anciens et étudiant de Panthéon-Sorbonne et les diffuser en répondant du mieux possible aux interrogations des gens. En consultant régulièrement nos pages de blog vous serez au courant des prochaines publications.