Le Parlement approuve la création d’un euro digital.
Atlantico : Le Parlement approuve la création d’un euro digital. Depuis la fin de l’année 2023, le conseil des gouverneurs de la BCE a décidé de passer à la phase de préparation et d’expérimentation de l’euro numérique. Quel pourrait être le bouleversement de cette monnaie digitale sur le plan économique et financier à l’échelle de l’Union européenne ?
Christian de Boissieu : L’Union européenne souhaite se donner du temps avant de potentiellement passer à l’euro digital. Cela s’inscrit à la suite de l’essor des cryptoactifs comme le Bitcoin. Mais les cryptomonnaies ne sont pas des monnaies à part entière. Elles ne remplissent pas toutes les fonctions d’une monnaie. Les crypto ne sont pas n’ont pas cours légal, sauf dans deux pays aujourd’hui le Salvador et la République Centrafricaine. Les banquiers centraux préfèrent parler de cryptoactifs. C’est une manière de ne pas reconnaître le caractère pleinement monétaire des cryptomonnaies. Ce sont des monnaies digitales décentralisées et privées comme le Bitcoin ou l’Ethereum. Depuis 2009, il y a un essor de ces cryptoactifs. Facebook avait même l’intention d’introduire sa crypto, sa monnaie privée, Libra. Facebook compte entre 2 et 3 milliards d’utilisateurs et voulait donc créer une monnaie privée pour presque la moitié du monde. Cela aurait été une révolution monétaire et une remise en cause de la souveraineté monétaire, des banques centrales et des États. C’est la raison pour laquelle les autorités nationales et internationales, la FED et la BCE, les banques centrales, les régulateurs sont montés au créneau. Le projet n’a pas été autorisé et donc a été enterré. Les banques centrales ont senti le vent du boulet qui est passé avec ce projet massif. Pour réagir face à ces monnaies privées, les banques centrales ont décidé de lancer leur monnaie de Banque centrale digitale, les CBDC (Central Bank Digital Currency), pour l’euro et le dollar.
Les banques centrales veulent lancer ce projet de monnaie numérique pour reprendre la main par rapport aux cryptos. Les monnaies digitales des banques centrales sont des monnaies publiques mais sont bien différentes des cryptos. Ce sont bien des monnaies publiques officielles avec des banques centrales derrière. Alors que dans les cryptoactifs, il n’y a pas de banque centrale derrière le Bitcoin ou l’Ethereum. Ce sont des monnaies sans parachute. Si leur prix devait tendre vers zéro, il n’y aurait personne pour sauver la crypto.
Les monnaies digitales des banques centrales ont vocation à devenir des monnaies complètes comme l’euro pour la zone euro ou le dollar. En revanche, les cryptoactifs sont des monnaies partielles.
Dans ce dossier, il y a donc des enjeux de souveraineté et de contrôle monétaire. Cela s’apparente à une nouvelle guerre des monnaies, entre les cryptoactifs et les monnaies de banques centrales digitales.
Faut-il s’inquiéter d’une forme de contrôle social étatique que ces monnaies digitales permettraient, étant inspirées du modèle chinois ?
Christian de Boissieu : Le paradoxe est que la Chine est le premier pays au monde à avoir développé sa monnaie de banque centrale numérique. Cela a pu être utilisé comme une manière de contrôle. Les Chinois ont cherché à innover et à être les premiers dans ce domaine. Donald Trump a déclaré que s’il est élu en novembre, il mettra un terme à ce projet de monnaie digitale concernant le dollar. Il n’autorisera pas la Fed à produire son dollar numérique parce qu’il y voit une atteinte aux libertés individuelles.
La BCE s’est lancée dans ce projet mais avec un calendrier retardé par rapport à son projet initial. La phase d’expérimentation doit permettre d’étudier ce projet.
Toutes les banques centrales en réalité préparent leur monnaie numérique, y compris les pays en développement. Le Nigeria, par exemple, est en avance. Des pays du Sud et des pays africains travaillent aussi sur une monnaie digitale. Il y a donc une émulation et une concurrence.
Derrière les cryptoactifs, il y a la technologie du blockchain et les banques centrales n’ont aucune raison de rester à l’écart des nouvelles technologies. Les banques centrales ont voulu mettre à niveau le processus d’émission monétaire en l’alignant sur les nouvelles technologies.
Ces monnaies officielles digitales devraient permettre de réduire les coûts de transaction sur les marchés et des commissions bancaires. Les monnaies digitales faciliteraient également la circulation des capitaux au plan international, cela réduira les délais. Avec la monnaie digitale officielle, le transfert ne prendrait que quelques heures et pas quelques jours. Cela va faciliter les transactions, les mouvements internationaux de capitaux en réduisant leurs coûts.
Ce système devrait aussi faciliter l’inclusion financière et aider les citoyens qui ne sont pas bancarisés dans les pays en développement.
Les banques sont assez craintives ou hostiles à ce projet. Les banques ont peur de perdre la clientèle des particuliers ou des petites entreprises avec ces monnaies digitales. Les banques ont peur de moins bénéficier des dépôts et que cela vide leurs dépôts. Elles auraient donc moins de ressources pour financer l’économie et pour assurer leur rentabilité. Les banques centrales doivent donc rassurer les banques qui sont sous leur tutelle. Cela pose un problème pour la composition de la masse monétaire dans une économie. Si les dépôts vont baisser, est-ce que les banques vont être perdantes ? Un plafond va être instauré pour réguler le recours à l’euro digital et qui limiterait les possibilités de substitution.
Face au risque de contrôle social étatique, les garde-fous dans le cadre de la mise en place de l’euro digital seront-ils suffisamment sécurisés et fiables ?
Fabrice Epelboin : Il y a une actualité très récente qui répond parfaitement à votre question. L’utilisation de caméras biométriques de surveillance est illégale. On vient à peine d’autoriser une phase d’expérimentation à l’occasion des JO. Il y a six mois, Disclose a révélé qu’en pratique, elles étaient déployées un peu partout en France depuis 2015. On est entré dans une ère, où de toute façon, les technologies se déploient, quelle que soit la législation. Il n’y a pas de garde-fous possibles. Les seuls garde-fous, ils sont technologiques. C’est ce que permet la technologie. Je ne suis pas en train de vous dire qu’on va devenir la Chine. On utilise une technologie qui est la blockchain. On l’applique à une banque centrale. Ce que je vous dis, c’est qu’il n’y a aucun texte législatif qui pourra encadrer l’évolution de cette technologie parce qu’on a déjà la démonstration dans notre vie courante démocratique actuelle que ces gardes fous n’ont servi à rien.
On va nécessairement s’exposer à des dérives qui seront les dérives de notre système démocratique. Et effectivement, cela aura des conséquences sur le plan financier et monétaire. Il n’y a aucune raison qu’une technologie comme les monnaies numériques d’État échappe à cette dérive. J’insiste, l’encadrement législatif ne servira pas à grand-chose. La seule façon de se protéger des dérives, c’est de conserver l’argent cash, en liquide.
En quoi finalement le fait de copier le modèle chinois basé sur le contrôle social serait une mauvaise idée ?
Christian de Boissieu : Cela pose un débat sur les libertés individuelles et cela va dépendre des précautions qui seront prises. L’euro digital doit être aussi une manière de lutter contre le blanchiment et de lutter contre le financement du terrorisme. L’euro digital devrait permettre d’améliorer la traçabilité de l’argent. L’euro digital ne devrait pas être un système digne de Big Brother. Mais des craintes existent. C’est la position de Donald Trump ou de certains citoyens qui considèrent que cela va être une forme de contrôle.
Des textes existent en Europe et en France sur le respect des données individuelles, via le règlement RGPD notamment. Si l’euro numérique voit le jour, il sera nécessaire de l’actualiser, de le modifier et de le renforcer.
Derrière cette question de la monnaie digitale, il y a un problème de données. La principale crainte repose sur ce domaine. Qui va avoir le contrôle des données et qui va les surveiller ? Le règlement européen devra être réactualisé avec l’arrivée de l’euro numérique. La CNIL en France aura aussi un rôle important à jouer sur la protection des données et sur le traitement des informations individuelles.
Les pays membres de l’UE pourraient-ils imposer des conditions strictes qui pourraient aller à l’encontre des libertés publiques avec la création de cet euro digital et avec l’évolution vers le monde numérique ? Le digital ne contribue-t-il pas à une attaque contre nos vies privées ?
Christian de Boissieu : Il est difficile de refuser les nouvelles technologies sous prétexte de l’argument Big Brother. Il faut accompagner les nouvelles technologies par un renforcement de toutes les réglementations protégeant les données individuelles.
Le problème de l’accès aux données, de la confidentialité des datas, de la circulation des données est la question centrale. Les Chinois feront ce qu’ils voudront et appliquent un contrôle social. Mais l’Europe va se distinguer de ce modèle. En combinant les textes européens et les textes nationaux, l’euro numérique ne devrait pas menacer les libertés individuelles. Des garde-fous existent grâce à une évolution de la législation.
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