Emmanuel Macron et Olaf Scholz lors d’une réunion à l’Elysée.
Atlantico : La Secrétaire d’Etat aux affaires européennes, Laurence Boone, veut renforcer le moteur franco-allemand de l’UE, au vue de l’état actuel de la relation est-ce encore réaliste ?
Guillaume Klossa : Le rééquilibrage de la relation franco-allemande est plus indispensable que jamais si les européens veulent peser dans un monde qui n’est plus ni européen ni occidental. Les dirigeants allemands et français ont donc une responsabilité considérable face à l’histoire. Ils doivent trouver des points de convergence et une stratégie commune pour rendre l’Europe plus puissante. Cela est compliqué car la guerre en Ukraine, les tensions entre la Chine et les Etats-Unis, etc. remettent en cause et le modèle économique allemand et la stratégie française, ce qui crée des dynamiques de divergence. Dans ce contexte, il faut arriver à recréer du commun. Cela passe bien évidemment par le dialogue entre les dirigeants mais il faut aussi créer une nouvelle dynamique entre les sociétés civiles. La visite d’Etat du président français aurait pu s’accompagner d’un travail d’association des sociétés civiles. Il y a une difficulté fondamentale qui est que le souvenir et la mémoire de la seconde guerre parle de moins en moins et que le moteur franco-allemand ne peut plus se limiter à la réconciliation franco-allemande d’après-guerre. Il y a une nécessité d’inclure les autres européens. La dynamique franco-allemande est indispensable pour permettre à l’Europe d’avoir un rôle dans le monde, mais elle n’est absolument plus suffisante.
Michael Lambert : Cette option est certes envisageable, mais elle manque de pragmatisme, n’est pas assez inclusive et ne correspond plus aux dynamiques européennes contemporaines. En effet, des pays de la nouvelle Europe comme la Pologne ont révélé leur importance croissante avec le soutien qu’ils ont apporté à l’Ukraine, et sur le plan économique sont désormais à prendre en considération pour les grands projets européens. A cet égard, une coopération trilatérale France-Allemagne-Pologne (Triangle de Weimar) apparaît comme la voie la plus cohérente et la plus prometteuse pour relancer l’économie du continent.
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Toutefois, il reste un certain nombre de domaines prometteurs à développer entre la France et l’Allemagne, qui restent les deux principales puissances économiques de l’UE en termes de PIB. Tout d’abord, la coopération dans le domaine militaire doit être renforcée, non seulement parce que l’Allemagne va acquérir de grandes quantités d’équipements au cours de la prochaine décennie (100 milliards d’euros), mais aussi parce qu’une telle coopération permettrait d’accroître l’expertise allemande dans des secteurs clés, tels que celui des sous-marins, et l’expertise française en matière de chars, de véhicules de transport et d’armes de petit calibre. À terme, cela nous permettrait de vendre davantage d’équipements à l’étranger et de renforcer le hard power de l’UE et de l’Otan.
Outre le domaine militaire, les secteurs des énergies renouvelables, du nucléaire, de l’automobile, des drones, et des transports en général bénéficieraient d’un renforcement des partenariats franco-allemands.
Il faut cependant noter que ces dynamiques bilatérales sont plus susceptibles de naître d’initiatives privées et de grandes entreprises que d’une volonté de l’UE, la bureaucratie européenne étant rarement en mesure de mettre en place des projets rentables. Un autre obstacle fondamental est que la France n’a jamais mis en place un système d’éducation qui valorise la langue allemande à grande échelle, sachant que l’éducation joue un rôle majeur dans les relations bilatérales. Il en va de même en Allemagne, où les Allemands maîtrisent souvent mal ou pas le français. En résumé, la coopération franco-allemande est importante, mais il faut s’en donner les moyens, et cela commence dès le plus jeune âge.
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Bien que voisins, les deux pays peinent encore à se comprendre et se regardent sans vraiment se connaître. En matière de défense, la France reste une puissance nucléaire et globale, alors que l’Allemagne commence à peine à prendre conscience de son importance régionale. En matière d’énergie, l’Allemagne privilégie les énergies renouvelables, tandis que la France préfère le nucléaire depuis des décennies – deux approches divergentes et pourtant complémentaires.
La France et l’Allemagne peuvent-elles véritablement dépasser les différends qui les séparent, en termes de vision des objectifs à mener comme des moyens de les atteindre (sujet de défense, nucléaire, géopolitique) etc. ?
Guillaume Klossa : Nos visions sont divergentes à court et moyen terme, et la seule manière de s’en sortir, c’est de réfléchir ensemble sur le long terme. C’était la méthode de Jacques Delors à la commission. Il faut mener un effort prospectif concernant l’Europe que nous voulons en 2050. Et c’est essentiel de faire ce travail car il conditionne nos dynamiques de convergence et permet de sortir des tensions de court terme. Cela permet aussi de se poser les questions des méthodes à aborder.
Mais les intérêts vitaux sont partagés : la liberté, la stabilité, la paix, la démocratie, les droits fondamentaux, etc. Le reste, ce sont des intérêts de moyen terme, et il faut arriver à dépasser cela. Aujourd’hui la dynamique est trop exclusivement politique et pas assez sociétale. Pour autant, il ne faut pas surestimer les tensions avec l’Allemagne. Cela reste le partenaire avec lequel nous avons les relations les plus avancées. La dynamique franco-allemande continue de fonctionner. Elle est organisée et elle a du sens, mais elle n’arrive pas forcément à créer de l’élan.
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Michael Lambert : Si l’UE souhaite consolider le moteur franco-allemand, deux éléments seront essentiels. Tout d’abord, l’allemand devrait devenir la deuxième, voire la première langue enseignée dans les écoles françaises. Le français devrait quant à lui devenir la deuxième ou la première langue dans les écoles allemandes. Un plus grand nombre d’écoles bilingues franco-allemandes semble également essentiel dans cette perspective. Deuxièmement, les législations française et allemande doivent être simplifiées et une approche plus libérale doit être mise en place. L’intérêt des entreprises allemandes pour la France et vice-versa passera pas moins de taxes sur les entreprises et les services. Qui plus est, il est aujourd’hui difficile d’accroître la coopération car les deux pays ont des administrations lourdes qui rendent difficile l’implantation d’entreprises françaises en Allemagne.
Davantage de libéralisme et surtout moins de bureaucratie/digitalisation des services simplifierait le développement des projets franco-allemands.
Comment renforcer le moteur franco-allemand ?
Guillaume Klossa : Il faut poser les problèmes sur la table de manière honnête. Il ne faut pas surestimer les responsabilités des dirigeants politiques. Après-guerre, le projet européen s’est construit avec des intellectuels, il ne faut pas tout attendre des politiques.
Michael Lambert : L’éducation est la clé du renforcement de la coopération. Mais il faut aussi mettre en évidence que, historiquement, les deux pays sont plus proches qu’il n’y paraît. Par exemple, des territoires français comme l’Alsace, ou encore la Franche-Comté, ont une histoire et une identité allemandes à mettre en valeur, et doivent devenir des ponts entre les deux pays. Il en va de même pour des régions allemandes comme la Sarre, même si cette dernière a une longueur d’avance sur des régions comme l’Alsace.
Plus promptement, c’est la coopération militaire qui est nécessaire. Il convient de créer des entreprises franco-allemandes et de fusionner les entreprises du secteur militaire. Comme mentionné plus haut, il serait plus approprié d’avoir une grande société franco-allemande de sous-marins (basée sur le modèle français) et une grande société de blindés (basée sur le modèle allemand). Le principal obstacle reste le fait que chaque pays se considère comme meilleur que l’autre, ce qui laisse finalement la porte ouverte aux entreprises américaines. On a vu ce phénomène avec le développement des avions de combat de 5ème génération, les Européens achetant du matériel américain (F-35) parce que le projet Eurofighter a omis d’inclure la France et n’a pas disposé des ressources nécessaires au développement d’un avion de 5ème génération « Made in Europe ».
Dans le domaine des énergies renouvelables, c’est la Chine qui prend de l’importance, encore une fois parce que les entreprises françaises et allemandes n’ont pas réussi à coopérer pour créer de grandes structures aux ambitions internationales.
La liste est longue, mais comme mentionné plus haut, un effort de simplification des deux administrations et de libéralisation doit être fait. Les deux pays ont tout à gagner de cette simplification, qui explique d’ailleurs le succès de pays comme l’Estonie et la Pologne : moins il y a d’administration et de bureaucratie, plus les affaires peuvent prospérer.
Mais l’Europe peut-elle se passer d’un moteur franco-allemand ?
Guillaume Klossa : C’est important que ce moteur existe, mais l’approche doit être plus large. Il ne faut pas une approche méprisante envers les autres Etats. Cela n’est pas évident mais c’est faisable. Les Français comme les Allemands sont bien conscients que nos économies sont interdépendantes. On ne peut pas se permettre d’avoir un couple franco-allemand qui ne fonctionne plus, cela sortirait l’Europe de l’histoire.
Michael Lambert : A l’heure actuelle, l’Europe aurait plus à gagner en misant sur l’excellence que sur la taille. En effet, malgré un PIB important, l’Allemagne et la France ont un PIB par habitant inférieur à celui des pays nordiques ou des Pays-Bas. L’UE ferait mieux de s’inspirer de l’Estonie en termes d’administration et d’esprit d’entreprise, cette dernière étant un leader mondial en matière de numérisation, et des Pays-Bas en ce qui concerne le pragmatisme économique.
En résumé, l’avenir de l’Europe passe par une réduction de la bureaucratie et par l’adoption d’une approche inspirée de celle des pays de la nouvelle Europe.
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